Manufacturing Dissent
Debbie Melnyck
par Helen Faradji
Un porte-drapeau? Une icône? Pire, un gourou semblent affirmer les deux documentaristes canadiens Debbie Melnyk et Rick Caine dans Manufacturing Dissent, un documentaire consacré au trublion et nouvel héros de la gauche américaine Michael Moore.
Disloquant la vie et l’oeuvre du documentariste palmé-oscarisé en 3 actes relativement fouillés (Flint et les origines, la montée des critiques anti-Moore après Bowling for Columbine et le Slacker Uprising Tour dans lequel Moore encourageait les étudiants à voter, et enfin la création du festival de films de Traverse City après la rééléction de Bush), Melnyk et Caine l’ont pourtant proclamé haut et fort, dès qu’un micro leur atterissait sous le nez : c’est après un documentaire consacré au pour le moins cupide Conrad Black (Citizen Black) qu’ils eurent l’idée de se pencher sur le cas Moore. Parce qu’ils partageaient ses idées. Parce qu’ils admiraient le bonhomme.
Mais comme dans tous les contes de fées modernes, c’est en travaillant aux contours d’un portrait qu’ils auraient voulu élégiaque que les deux compères mirent le doigt sur les dessous de la méthode Moore et ses petits arrangements avec la vérité. Clou du spectacle, voilà qu’à l’instar de Roger and Me narrant la poursuite du patron de GM par Moore pour une simple entrevue (mais était-ce bien vrai?), Manufacturing Dissent se dote, lui aussi, d’un fil directeur peu reluisant : Moore refuse de donner une entrevue aux canadiens, repoussant systématiquement à plus tard leurs demandes acharnées.
Michael Moore n’est donc pas le chevalier blanc espéré, le pourfendeur des mensonges d’état et des trahisons sociales dont il se donne le rôle et Manufacturing Dissent, bien que tâchant d’être équitable, n’hésite pas à livrer plutôt le portrait d’un homme manipulateur égomaniaque et paranoïaque. Soit. Mais, en toute honnêteté, l’information n’apparaît pas si étonnante. Un simple visionnement de Bowling for Columbine ou de Farenheit 9/11 et de leurs montages arrangés avec le gars de vues suffisait à le déceler. Certes, on pourra apprécier que Melnyk et Caine regroupent toutes ces informations s’appuyant entre autres sur les témoignages de critiques ou de documentaristes à la respectabilité plus qu’affirmée (Errol Morris ou Albert Maysles). Mais on pourra aussi s’interroger sur leur démarche formelle s’appuyant justement sur celle inaugurée par Moore : interviews très courtes, montage serré, narration à la première personne, mise en scène de la persona du documentariste et images d’archives pour assurer un certain sens du spectacle. Os : Moore ment peut-être, mais il reste un maître ès communications dans l’art de divertir les foules afin de leur faire gober son message. Et ici, contrairement à toutes les bonnes histoires, les élèves ne dépasseront pas le maître. Manufacturing Dissent apparaît dès lors comme un document beaucoup plus journalistique que cinématographique, ne parvenant jamais à réellement ni imposer son discours, ni affirmer sa personnalité.
21 juin 2007