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Critiques

Marfa Girl

Larry Clark

par Bruno Dequen

Grand prix du récent Festival de Rome, Marfa Girl marque le grand retour de Larry Clark, sept ans après Wassup Rockers. Pour l’instant, le film fait surtout parler de lui pour sa stratégie de distribution. En effet, Clark a décidé de ne pas le sortir en salles et de le rendre disponible sur son site Internet. «C’est l’avenir », dit-il dans un court texte de présentation qui proclame la mort imminente des cinémas d’art et d’essai. En ce qui concerne les questions de distribution, il a peut-être raison. Mais l’épitaphe ne saurait être employée pour définir la nature de son film.

Dès les premiers plans, aucun doute n’est possible. Scène 1 : gros plan sur les jambes d’un skateur. Scène 2 : deux amis fument un joint et se font brutalement arrêter par un patrouilleur frontalier. Nous sommes bien chez ce vieux voyeur fétichiste et conservateur qu’est Larry Clark. Encore une fois, ce dernier nous plonge dans le quotidien ennuyé de l’adolescence sexualisée. C’est au tour d’un certain Adam, un jeune adolescent (forcément) beau et nonchalant, de découvrir les vicissitudes de l’initiation sexuelle dans sa petite ville texane de Marfa. Entre sa relation « légale » avec une jeune fille follement amoureuse, sa relation sexuelle avec une voisine plus âgée en couple avec un ex-taulard, ses très longues discussions sur la sexualité avec la jeune femme du titre, une artiste libertaire qui dessine des nus des multiples amants latino qu’elle consomme sans réserve, Adam est particulièrement occupé et en demande pour un garçon qui semble plutôt renfermé. En fait, tout le monde désire Adam, à commencer par sa professeure, qui lui donne la fessée en souriant, mais surtout ce fameux patrouilleur violent, qui est présenté comme un obsédé sexuel déviant. Le tout sonne un peu caricatural ? Bien sûr, on est quand même chez Larry Clark !

Depuis Kids, Larry Clark n’a eu de cesse de s’autoproclamer artiste majeur. Il se décrit ainsi sans rire sur son propre site comme « l’un des photographes et artistes les plus importants des 50 dernières années » et « l’un des cinéastes les plus provocateurs et influents de notre époque ». Il serait grand temps que son véritable apport à l’histoire de l’art soit quelque peu réévalué. Certes, l’approche faussement documentaire de Kids et le réalisme cru de ses dialogues ont eu une influence certaine sur de nombreux cinéastes. De ce point de vue, Clark a été dans les années 1990 le pendant sérieux d’un Kevin Smith. Au point où les deux cinéastes semblent d’ailleurs s’auto-parodier involontairement depuis. Une interminable conversation sur le rôle du clitoris, qui aurait peut-être brisé quelques tabous il y a quinze ans, n’est plus qu’un cliché de plus dans Marfa Girl. Or, un tel constat ne serait pas si problématique si Clark assumait pleinement son manque de profondeur et sa fétichisation des corps adolescents. Après tout, Harmony Korine et Gregg Araki ont assumé depuis belle lurette que la farce et l’outrance étaient des voies fort honorables pour renouveler et approfondir le genre du « film d’ado ».

Mais justement, Clark n’a pas cette clairvoyance. Encore une fois, il construit un univers faussement réaliste qui n’est peuplé finalement que de stéréotypes. Pire encore, il n’y a pas un personnage dans le film qui n’ait son petit monologue d’explication psychologique. Marfa Girl couche avec tout le monde parce que ses parents étaient « libérés », le patrouilleur est perturbé parce qu’il se faisait frapper par son père, etc. Le tout serait risible s’il n’y avait pas cette caractéristique insupportable de tout le cinéma de Clark : la recherche de l’effet-choc sadique, moralisateur et profondément conservateur. Ce qui aurait pu n’être qu’une douce chronique quelque peu insipide se termine encore dans le sang. Clark réussit encore à réduire le réel à une poignée de comportements simplistes qu’il observe avec ce mélange insupportable de jouissance et de culpabilisation qui prédominait déjà dans Kids. Décidément, rien n’a changé en sept ans.

Un extrait de Marfa Girl


29 novembre 2012