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Critiques

Matthias et Maxime

Xavier Dolan

par André Roy

C’est du Dolan, ce Matthias et Maxime, ça lui ressemble, mais en même temps il s’en différencie. Abandonnant les quelques facilités qui entachaient ses œuvres précédentes, en particulier les ralentis ou les personnages de mères castratrices, le cinéaste consolide son style en lui donnant son autonomie, sa singularité, sans, cette fois, forcer la note (comme dans Mommy) ou passer à côté de sa cible (comme dans Ma vie avec John F. Donovan). C’est un Dolan reconnaissable qui a trouvé un juste équilibre entre le propos et la forme, pour un film touffu, labile, rapide.

La trame du film est simple : deux semaines avant son départ pour l’Australie, Maxime (Xavier Dolan) est avec son ami Matthias (Gabriel D’Almeida Freitas) au chalet de Rivette (Pier-Luc Funk), où ils doivent tous les deux subir la logorrhée anglicisée de Lisa (personnage caricatural interprété par Camille Felton), sœur de Rivette qui veut réaliser un court métrage. Elle demande pour le besoin du tournage un baiser entre Matthias et Maxime. Ce baiser — qu’on ne verra pas dans le film amateur — est un révélateur ; il déclenchera un questionnement amoureux chez les deux amis. Une réflexion qui perturbe leur amitié et, surtout, qui taraude Matthias, l’angoisse, le déséquilibre, le met même en colère, alors que ce baiser est ce que semblait attendre depuis toujours Maxime, constamment en alerte comme son corps, son visage, ses yeux le disent. La description de cette confusion des sentiments est finement orchestrée. Nous sommes ici, véritablement, dans un drame romantique, avec son événement déclencheur, ses conséquences dans la vie quotidienne et son dénouement positif, avec, en plus, cette tendresse qui se dégage de l’opus, enfin libérée des enjeux formels trop souvent ostentatoires des œuvres antérieures (comme Les amours imaginaires, dont Matthias et Maxime est proche). Comme si Dolan laissait le film dénouer lui-même l’intrigue, nous amenant naturellement à sa conclusion malgré la profusion des personnages et des intrigues qui l’alimentent. Tout coule de source dans une abondance de références, d’interférences et d’affects qui, pourtant, n’entravent pas cette tension dans la relation entre les deux vieux amis (vieux, car ils sont allés ensemble à l’école, enfance métonymiquement évoquée quant Maxime découvre dans un tiroir de la chambre de la mère de Matthias un dessin d’enfant signé Matt et Max, diminutifs utilisés encore pour désigner les deux garçons). Tout est soumis à une forte agitation qui nourrit la trame narrative, qui fait avancer le récit par petites touches, par suspenses minimalistes. Un tourbillon circonscrit les personnages, toujours en mouvement, saisis dans leurs tics, leur langage, leurs conversations qui se chevauchent, ce qui a pour effet d’opacifier le récit.

À cet égard, le réalisateur en met beaucoup, multipliant les parenthèses narratives pour solidifier le caractère de ses deux personnages principaux, épaissir l’intrigue. Pour Matthias, il le montre sur son lieu de travail, en tête-à-tête avec son patron, soulignant ainsi sa stabilité sociale et financière, alors que Maxime, lui, peut partir, il est sans attache (il est barman). Matthias accueille un jeune collaborateur américain (Harry Dickinson, de Beach Rats) qui, dès son arrivée à l’aéroport, le séduit visiblement par sa beauté. Pour Maxime, ce sera la drague d’un garçon dans un bus. Le cinéaste en met beaucoup donc et la durée du film en souffre vers la fin. Mais il soupèse, il a appris de ses qualités et de ses défauts. Ainsi, la scène entre la mère de Maxime (Anne Dorval) ne tourne pas, comme dans Mommy, au pugilat. Par cette place secondaire, on dira même plus apaisée, accordée à la mère — ainsi qu’à celle de Matthias —, Dolan recentre son cinéma, concentre notre attention. Entre les rires, les larmes, les crises, les blagues pour initiés (sur le cinéma surtout, que ce soit sur Denys Arcand ou, comme le prononce Lisa, « Aldo Movar »), ce qui importe pour le cinéaste, c’est le non-dit, le désir non avoué, l’incapacité ou la difficulté d’aimer, les interdits sur l’homosexualité, son acceptation (pour Maxime) ou son refoulement (pour Matthias). La passion homosexuelle est là, comme elle a toujours été présente dans les œuvres du Québécois (l’un des rares à la mettre en scène sans tabou ni censure), mais le film interroge surtout le rapport de soi à l’autre dans le temps de l’amour et de l’amitié. Sur les méandres du secret et de la vérité, Matthias et Maxime se révèle une œuvre accomplie.


29 octobre 2019