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Critiques

MAURICE

Serge Giguère

par Robert Daudelin

Au début des années 1970, Serge Giguère s’associait avec son ami Robert Tremblay pour fonder une petite société de production, Les films d’aventures sociales du Québec. Après quelques productions fidèles à son appellation, la compagnie est dissoute en 1984. Giguère amorce la longue et riche carrière qu’on connaît, alors que Tremblay continue en franc-tireur avec un projet qui l’occupera jusqu’à son décès : un portrait intimiste de Maurice Richard. C’est ce projet, toujours en chantier au moment de la disparition de Robert Tremblay en 2018, que Serge Giguère a repris à l’invitation de son ami. Vu l’ampleur et la complexité du projet, l’invitation était piégée, mais les nombreux écueils ont été évités et, si Maurice Richard demeure un mystère, le nouveau film de Serge Giguère est très réussi.

Maurice n’est pas le premier film consacré au légendaire joueur de hockey : en 1971, à la suggestion de Pierre Maheu de célébrer quatre « grands » Québécois, Gilles Gascon réalise Peut-être Maurice Richard, un documentaire qui retrace la carrière du joueur à l’aide d’archives et de témoignages ; en 2005, Charles Binamé signe un biopic avec Roy Dupuis dans le rôle du Rocket. Reprenant le projet de son ami, Serge Giguère devait donc éviter les redites fatales et trouver un point de vue autre pour parler d’un homme sur qui tout semblait avoir déjà été dit. Pour ce faire il s’impose, d’une part, de respecter l’esprit du film dont rêvait Tremblay (« trouver un regard non traditionnel sur Maurice Richard et son influence culturelle ») ; d’autre part, d’intégrer à ce projet l’histoire même du film initialement projeté. L’objet qui en résulte tient tout à la fois du work in progress et du making-of et c’est justement cette dualité qui en fait le charme et la richesse.

Bien qu’il ait été le cameraman de tous les tournages improvisés (et fauchés : équipement emprunté et fins de bobines récupérées chez les copains) de Tremblay avec Maurice Richard de 1980 à 2000, Giguère n’avait jamais vu ses images avant que son ami les lui confie. Tremblay ne s’étant jamais rendu ne serait-ce qu’à un prémontage, il fallait tout identifier, synchroniser aussi, dans l’espoir de découvrir le film qui se cachait dans un matériau aussi volumineux. La moitié de Maurice est constitué de ces rencontres avec Richard qui ont désormais un caractère d’archives ; l’autre moitié de témoignages déjà existants ou sollicités par Giguère, notamment les interventions de l’essayiste Benoît Melançon derrière lequel Giguère avoue candidement « se cacher » pour nous proposer une explication fort séduisante du statut mythique de son personnage.

Maurice Richard avec des jeunes sur une patinoire extérieure

« Film à quatre mains », comme aimait le définir Tremblay, Maurice est une aventure hors des sentiers battus, un film dont la réalisation, malgré la mort de son héros, se serait sans doute prolongée à perpette si la maladie n’avait pas rattrapé Robert Tremblay. D’où la pertinence de la présence de Giguère à l’écran, histoire de nous rappeler cette histoire folle et le défi, comme les risques bien réels, qu’en constituait l’héritage. Serge Giguère devient à son tour un des protagonistes du film, un ultime explorateur des faits et gestes d’un homme ordinaire (d’un milieu modeste, bon père de famille, aimant la musique country) peu porté sur les discours, mais surdoué sur une patinoire et qui, bien malgré lui, était devenu le représentant de tout un peuple. Pour tous les petits gars de ma génération, Maurice Richard était un véritable héros, présent dans nos vies – comme le rappelle Bernard Gosselin – par la radio : dans mon cas, le Hockey du samedi soir, religieusement écouté avec mon grand-père…

Passionné de culture populaire – on n’a pas oublié ses portraits hauts en couleur d’Oscar Thiffault et de Guy Nadon – Giguère intervient aussi techniquement dans l’image, ses trucages apportant une touche d’humour à ce portrait hors norme : Maurice en Superman, comme Giguère lui-même transportant la porte aux initiales de Richard sont autant de clins d’œil bienvenus qui ont vite fait de nous éloigner de toute hagiographie.

Le hockey n’est évidemment pas absent de Maurice, mais les documents d’archives témoignant des exploits de Richard dans les années 1950 sont utilisés très parcimonieusement. Le Richard qu’on voit sur la glace, filmé par Tremblay et Giguère, c’est le joueur retraité, participant aux matchs des old timers, arbitrant des rencontres ou encore enseignant le maniement du bâton aux jeunes garçons d’une classe d’élèves « en difficulté ». C’est ce Maurice que Tremblay voulait nous faire découvrir, ce petit Canadien français qui avait tenu tête à la machine anglophone – administrateurs, comme arbitres – qui régnait alors sur la Ligue nationale de hockey.

Par ces choix, par l’engagement aussi de Giguère face à son sujet mais surtout en regard de sa longue amitié avec Robert Tremblay, ce qui aurait pu n’être qu’une autre célébration d’un grand joueur de hockey est devenu un film attachant et émouvant : le portrait d’un héros populaire qui est aussi une sorte d’essai sur le courage ordinaire, sur la détermination ; un film presque lyrique, qui regarde bien au-delà des prouesses du numéro 9 des Canadiens. Maurice, est-il besoin de le souligner, s’intègre ainsi harmonieusement à la filmographie si particulière de Serge Giguère qui, à quarante ans de distance, reprend du service aux Films d’aventures sociales du Québec, aux côtés de son vieux camarade Robert Tremblay.     


6 mars 2025