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Critiques

MAXXXINE

Ti West

par Sylvain Lavallée

Le dernier film de Ti West, le troisième d’une trilogie conçue autour de l’actrice Mia Goth après X (2022) et Pearl (2022), s’ouvre sur un carton d’une citation de Bette Davis (« In this business, until you’re known as a monster, you’re not a star ») pour se terminer sur le tube des années 1980 Bette Davis Eyes. Au-delà de simples citations, le jeu de références à Davis s’avère particulièrement complexe. Tout comme dans Pearl, MaXXXine explore une tension entre le « monstre » et la « star » qui était déjà au cœur de la carrière de Davis. De plus, cette dernière était connue pour jouer des femmes âgées alors qu’elle était encore jeune, avec ce que cela implique de maquillage et de prothèses, le thème du vieillissement étant central dans sa carrière. Cela résonne avec le double rôle de Goth dans X, qui avait son propre maquillage de femme âgée quand elle y interprétait Pearl. Et évidemment, les paroles de la chanson interprétée par Kim Carnes, décrivant une femme « ferocious », qui sait comment plaire tout en provoquant le malaise, qui expose l’autre en le séduisant, pourraient bien s’appliquer au personnage de Maxine (Goth encore), réaffirmant ainsi son lien à Davis.

Il y a donc une belle intelligence dans ce rapprochement effectué par une citation et un choix musical, mais MaXXXine accumule tant de références semblables que cela en devient lassant, cette stratégie servant surtout à nourrir artificiellement un scénario qui semble avoir été écrit à la hâte pour profiter du succès des deux volets précédents. L’intrigue se déroule quelques années après les événements de X, et tourne autour d’une série de meurtres qui surviennent autour de Maxine après qu’elle a décroché son premier rôle d’envergure dans la suite d’un film d’horreur à succès, mais le récit peine à maintenir le suspense, qui s’écroule dans le dernier tiers après la révélation du coupable. Il faut dire que West est à son meilleur dans les longs crescendo vers une finale explosive, comme dans The House of the Devil (2009), encore son film le plus accompli, et X, dans les moments qui créent de la tension en creusant l’attente dans des huis clos. Les codes du récit policier nécessitent une structure plus propulsive, avec un suspense maintenu par un mystère qui s’épaissit à mesure qu’on semble le dévoiler, mais MaXXXine donne plutôt l’impression de s’éparpiller sans savoir où aller.

Peut-être que cette habitude de jouer sur l’attente explique aussi pourquoi West n’arrive pas développer Maxine, qui semble par moments étrangement passive, peu concernée par les meurtres qui touchent pourtant son entourage, Goth faisant ce qu’elle peut pour incarner un personnage trop conceptuel. Dans X, elle faisait partie d’un groupe de jeunes adultes destiné·e·s à l’abattoir, et elle était plutôt secondaire avant qu’elle n’émerge comme la final girl dans le dernier acte. Le film n’avait pas besoin de peaufiner sa psychologie, surtout que le double rôle de Goth laissait place à une performance physique étonnante, un peu comme dans Pearl où, même si le personnage demeurait stéréotypé, il servait à mettre en valeur la présence excentrique de sa star. Rien de tel dans MaXXXine, la mise en scène n’essaie plus d’explorer ou de complexifier l’image de Goth, ce qui apparaît d’autant plus étrange dans le contexte d’un film dont le sujet est précisément la naissance d’une star.

Jeune femme marche dans un stationnement

C’est là qu’on découvre les limites de la démarche de West, intégralement fondée sur le pastiche : il peut reproduire minutieusement le cinéma d’une époque donnée, tant que cela reste au niveau du grain de l’image, de la direction artistique, mais sa mise en scène peine à sortir de sa zone de confort. Le récit de MaXXXine se déroulant en 1985, le modèle, cette fois, est Brian de Palma, un cinéaste qui a lui-même l’habitude de citer l’histoire du cinéma, ce qui autorise la multiplication outrancière des jeux de miroir et des mises en abyme. Malheureusement, cette esthétique déjà fétichiste, qui se voit elle-même fétichisée, finit par desservir le film en renforçant l’impression de regarder du clinquant. Nous retrouvons en particulier l’influence de Body Double (1984), avec le contexte de l’industrie pornographique servant à commenter Hollywood. West reprend aussi l’obsession de De Palma envers Hitchcock, notamment lorsque Maxine visite les décors de Psycho (1960) et qu’elle aperçoit par la fenêtre de la maison de Norman Bates la silhouette de la Pearl âgée de X. Mais là où De Palma questionnait Hitchcock, et à travers lui les tenants de la mise en scène hollywoodienne, la scène de MaXXXine ressemble plus à un simple clin d’œil à l’histoire d’un genre.

Cela s’avère révélateur de la faiblesse de l’entreprise, car en remplaçant la critique acerbe de son modèle par des citations affectueuses, West n’arrive pas à relever ce qu’il y a de sordide et de glauque dans son intrigue policière ni à dire quoique ce soit sur le milieu qu’il dépeint. Derrière les images imitées avec soin, aucune trace de la folie destructrice d’un Tobe Hooper (dont l’ombre plane sur toute la trilogie), de la perversité d’un De Palma ou de leur hargne amusée qui les amenait vers des excès par moments reprochables, mais d’où émergeait la véritable horreur. Dans les mains de West, la famille américaine, la répression religieuse et l’hypocrisie morale ne sont plus que des idées de cinéphile studieux, dépolitisées par un vernis nostalgique. Nous pouvons penser alors au personnage du cameraman dans X, qui voulait faire de l’art avec la pornographie : d’un côté, West semblait se moquer de lui, parce que ses prétentions hypocrites cachaient mal qu’il était en réalité peu à l’aise avec la sexualité, mais de l’autre il est tentant d’y voir en creux un autoportrait du cinéaste, qui exhibe le cinéma d’horreur comme dans un musée.

C’est ce qui le rapproche finalement de la tendance de l’elevated horror, qu’on associe trop facilement à des films aux esthétiques numériques léchées qui délaissent la débauche sanguinaire pour privilégier un travail atmosphérique et une densité psychologique. L’exemple le plus iconique de ce courant demeure Ari Aster, mais on peut penser aussi au duo Veronika Franz et Severin Fiala, à Oz Perkins, à The VVitch (2015), à Saint Maud (2020), au reboot de Candyman (2021)… Même si elle est souvent remise en question, l’expression demeure révélatrice de la direction qu’a prise le cinéma d’horreur dans la dernière décennie, y compris celui de West : ce dernier démontre une réelle affection envers les plaisirs primaires du cinéma d’exploitation, mais son usage du pastiche et de la citation anesthésie parfois l’horreur tout aussi bien que les allégories bien rationnelles et limpides. Il partage aussi avec ses contemporain·e·s le goût pour l’ironie et pour les procédés qui se montrent conscients de leur posture esthétique, ce qui nous donne souvent l’impression d’être devant des films qui préfèrent se regarder discourir plutôt qu’oser nous plonger dans l’émotion brute. Et c’est ce que l’expression d’« horreur élevée » traduit très bien finalement, l’idée qu’un grand nombre de ces cinéastes n’osent pas réellement se commettre dans l’horreur, y participer et nous impliquer. D’où l’impression d’être devant de « l’art », des œuvres respectables, de « bon » goût, mais très peu dérangeantes ou incisives. En ce sens, MaXXXine est un film bien élevé.


23 juillet 2024