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Critiques

Merci pour tout

Louise Archambault

par Antoine Achard

Le premier plan de Merci pour tout annonce une œuvre qui déjoue nos attentes. Le film s’ouvre sur les gratte-ciels de Montréal sous la neige — le tout donne l’impression d’un conte de Noël à la sauce Hallmark —, mais bien vite la caméra rejoint la rue en contrebas pour se rapprocher d’une vitrine mettant à l’honneur un livre ayant pour titre « Noël me tue ». La première ironie du film est de faire passer ce titre macabre du figuratif au littéral lorsque le père magouilleur de Marianne (Magalie Lépine-Blondeau), chanteuse démodée, et Christine (Julie Perreault), auteure du livre en question, décède inopinément quelques jours avant les fêtes.

Ce qui surprend ici est le ton gentiment satirique envers les fêtes, présentées par moment moins comme une occasion de réjouissance qu’une obligation anxiogène. Ainsi un criminel dans un coffre de voiture est moins perturbé par la situation présente que par la perspective de ne pas avoir pu faire son magasinage de Noel. Merci pour tout n’est pas une œuvre particulièrement sombre, mais sa manière charmante de tout prendre à la légère est aussi ce qui fait son attrait principal, précisément parce qu’elle évite la plupart du temps l’écueil du sentimentalisme. En ce sens, la comparaison se fait moins avec les buddy movies québécois des 15 dernières années (qui ont la manie d’alterner entre humour et pathos) qu’avec les comédies américaines classiques où les enjeux narratifs se déployaient principalement dans les nœuds de la confusion comique. En effet, Merci pour tout se trouve à ressembler, dans ses meilleurs moments, à une réinterprétation des comédies de remariage. À la différence qu’ici, le couple est constitué de deux sœurs qui doivent réapprendre la complicité sororale. Comme dans une comédie de Hawks ou de Cukor, il s’agit d’établir un dialogue à travers une suite de péripéties comiques. Le quiproquo doit laisser place à la compréhension mutuelle.

L’une des forces du film — et ce qui le rapproche des comédies de remariage — est de faire des simagrées de ses personnages un site de revendication pour la reconnaissance d’autrui. Le désir secret qui habite chacune des sœurs et qu’elles semblent injecter dans toutes les paroles qu’elles se profèrent consiste à faire reconnaitre leur droit à se faire aimer malgré des idiosyncrasies qui leur ont la plupart du temps valu l’hostilité du monde. En effet, les personnages du film sont profondément seuls, exilés du rite familial le plus élémentaire qu’est Noël par le scandale ou par leur tempérament. La sororité devient le dernier bastion avant la solitude absolue, bastion qu’il est impératif de sauver des griffes de l’incompréhension. Les deux hommes qui les poursuivent refusent de les comprendre : Réjean, le truand qui vapote, s’acharne à trouver un fantôme qu’il croit vivant et Bruno, l’amant de Christine, s’offre un soliloque amoureux qui ne trouve aucune réponse. Fuir les assauts d’hommes obstinés devient pour elles l’occasion de développer leur propre code pour survivre.

Noël, qui obsède initialement les personnages, n’est finalement présent qu’à Montréal. La fête disparait progressivement jusqu’à ne plus avoir de trace à l’écran, les Îles de la Madeleine étant étrangement vierges de décorations rouges et vertes, ce qui semble suggérer un retour à l’essentiel pour les deux sœurs. Merci pour tout présente un point de vue sincère sur la cellule famille : les deux femmes ne sentent pas une vague d’amour nostalgique les envahir pour leur père ingrat, ne sachant trop comment commémorer sa disparition. Si « Noël me tue » était à comprendre comme un passage du figuratif au littéral, le rapport à la naissance se retrouve ici ironiquement inversé : d’outre-tombe, le père a donné l’occasion à ses filles de redéfinir leur lien, de permettre quelque chose comme une deuxième naissance dans cette relation. Dans la comédie de remariage, le couple accouchait d’un deuxième mariage, cette fois d’ordre spirituel. Ici, ce sont les sœurs qui se permettent de mettre au monde une deuxième sororité. Le périple visant à jeter à la mer les cendres du père devient le symbole d’une exigence biologique qui unit les deux femmes – celle de devoir passer Noël ensemble parce qu’elles sont de la même famille — et dont elles doivent se débarrasser pour retrouver ce qu’il y a de plus sincère dans leur relation, la complicité.


29 janvier 2020