Midnight in Paris
Woody Allen
par Helen Faradji
En 1966, dans What’s New Pussycat, il en faisait le décor libertin et canaille où s’amuser de l’apparente incompatibilité entre l’amour et la liberté. En 96, il nous faisait chanter Everyone says I Love You sous ses ponts en la parant de lumière et de peps. En 2010, il s’amollit un tantinet et se souvient que la réalité n’a parfois rien à envier aux rêves tant qu’il nous reste Paris. La Ville lumière, la ville de carte postale, la ville de tous les fantasmes. C’est elle, et rien qu’elle, que Woody Allen filme à nouveau, la regardant cette fois à travers un illeton énamouré, ripolinant ses couleurs bavant de luminosité (auxquelles l’édition Blu-ray, maigrelette en bonus, rend particulièrement justice), la faisant baigner dans une atmosphère chaude et mouillée, la désirant et la rêvant comme on désire une belle femme inaccessible.
C’est elle même, en réalité, qu’Allen filme, bien plus que son héros, Gil (sympathique Owen Wilson), tâcheron scénariste à Hollywood qui, le temps d’un voyage avec sa fiancée dans la capitale qui fait soupirer les Américains, réalisera magiquement son vu le plus cher : connaître le mythique Paris des années 20, celui de Gertrude Stein, du couple Fitzgerald, de Dali, de Cole Porter et d’Hemingway, celui des fêtes à faire perdre la tête et du champagne qui coule à flots. Au cinéma, ces choses-là sont possibles et c’est tant mieux.
Du Moulin Rouge aux quais de Seine, des terrasses de troquets aux escaliers de Montmartre, du Trocadéro au Fouquet’s, Midnight in Paris se fait alors dépliant touristique, pour évoquer un passé et un présent composés, magnifiant, gommant, aplanissant tous les contours urbains pour en faire un territoire de rêve, un espace imaginaire où tous les envies et les désirs ont droit de cité. Et tandis que les Américains décrits par le film sont au mieux d’odieux snobinards suffisants (Michael Sheen à qui le rôle va comme un gant), au pire d’affreux nouveaux-riches cachant leur inculture et leur bêtise sous un vernis bourgeois écaillé (les beaux-parents de notre héros, seules cibles de l’ironie allenienne, ici jouée en mode trop mineur pour convaincre), la déclaration d’amour ne prend pas la peine de se cacher; Woody Allen, bien plus apprécié en ces terres parisiennes que chez lui, a la reconnaissance du coeur.
Voilà peut-être pourquoi Midnight in Paris, aussi charmant, léger, insouciant soit-il, semble inachevé. Comme si Woody, trop amoureux, trop conquis, ne voulait pas sortir les griffes et restait délibérément aux abords de son film. Comme s’il refusait de laisser un scénario trop écrit, trop significatif prendre le pas sur la joliesse des cartes postales qu’il enfile les unes à la suite des autres. Comme si le temps d’écorcher l’amour, la bourgeoisie, la vie qui nous coule entre les doigts, était résolu, derrière lui et que débutait l’ère de la béatitude ébahie, de la tendresse ahurie. Woody Allen says I Love You, mais en oublie son propre film, laissant celui-ci se transformer en croisière pantouflarde sur la Seine et énumérer quelques poncifs (croire au « c’était mieux avant », c’est se priver de jouir du présent, l’argent ne fait pas le bonheur, l’amour sincère est rare et magique ) avec grâce et délicatesse, mais sans grande inspiration.
Et d’un coup, l’hommage à Paris, si beau et si vide, si délicieux et si vain, finit même par perdre la substantifique moelle de sa substance amoureuse. Car si de Londres, Allen semblait avoir retenu la violence, l’ambition et une belle noirceur, et de Barcelone la fougue, la folie et les cris, de Paris, notre binoclard préféré ne paraît que saisir les bons restaurants, les hôtels chics et les ruelles pavées au bon goût d’antan. Il y en avait pourtant, des fils à tirer, des inspirations à trouver, des parisianismes à détailler. Mais de ce pays qu’il semble aduler, Woody ne connaît peut-être pas l’expression : « qui trop embrasse, mal étreint ».
La bande-annonce de Midnight in Paris:
5 janvier 2012