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Critiques

Midnight Special

Jeff Nichols

par Helen Faradji

En pleine nuit, un homme inquiet regarde à travers les stores par la fenêtre d’un motel sans âme. Un autre homme, nerveux, se tient en arrière de la pièce. Entre les deux lits, un petit garçon est assis par terre en tailleur, un comics entre les mains. Il lit, ses yeux cachés derrière des lunettes de natation. La scène est aussi simple que singulière. Et c’est elle qui part le bal in media res de ce « petit » grand film qu’est Midnight Special, quatrième réalisation de Jeff Nichols. Un bal qui se poursuivra sur les routes américaines alors que l’homme inquiet se révélera être un Ranger qui accompagne et protège un père et son fils poursuivi par le FBI et par le Ranch, une secte religieuse à laquelle ils ont appartenu, tous à la recherche du petit garçon.

« Petit » car rien n’est fait dans ce film pour casser la baraque. Rien de spectaculaire, de grandiloquent, d’épate-chaland. Au contraire. Les couleurs, toujours dans les tons froids de bleus, de verts ou de marrons, s’harmonisent naturellement, le montage est posé, précis et les effets spéciaux, s’ils sont puissants et dramatiques, sont utilisés avec parcimonie, toujours pour pimenter, jamais pour cannibaliser le récit. Assurément, voilà qui repose en prenant le contre-pied de tout ce que la production de science-fiction propose aujourd’hui.

Science-fiction, oui, car c’est bien de cela dont il s’agit. Pas celle qui voit voler et / ou s’affronter des super héros en cape et collants dans toutes les déclinaisons possibles. Pas celle non plus où des robots géants transformables détruisent tout sur leur passage. Pas même celle dont les enjeux se transforment en questionnements éthiques et philosophiques fondamentaux, que l’on songe à Under the Skin de Jonathan Glazer ou à Ex Machina d’Alex Garldand. Non. De la science-fiction à échelle humaine. À l’ancienne. De la science-fiction qui permet de croire réellement au fameux « et si… » que trop de films se contentent de nous faire rentrer de force dans la gorge sans se soucier de vérité ou d’authenticité.

Si les cinémas de Clint Eastwood ou de Sam Mendes ont pu incarner, en leur temps, un néoclassicisme qui revisitaient les grands genres classiques hollywoodiens pour en assurer une forme de pérennité, celui de Jeff Nichols, ou de J.C. Chandor à sa suite (All is Lost, A Most Violent Year) représenterait plutôt un postclassicisme. Car si, comme dans le premier cas, tous les effets et traces de la postmodernité ont tout simplement été ignorés (et heureusement), les modèles semblent eux avoir changé. Non plus le grand Hollywood, mais le Nouvel Hollywood. Midnight Special ne s’en cache d’ailleurs pas, évoquant par ses scènes crépusculaires et sa tension construite par petites touches rigoureuses et discrètes Close Encounters of the Third Kind de Spielberg, par sa « poésie de l’épi de blé » les lumières caressantes et quasi-mystiques d’un Terrence Malick ou, par la musique subtile et inquiétante de David Wingo, les accompagnements sonores des œuvres de John Carpenter. Mais au-delà des effets de référence directs, c’est aussi un esprit de ce cinéma d’antan que Midnight Special évoque. Un esprit qui faisait primer l’artisanat de la confection et où, surtout, tous les moyens utilisés étaient mis au service de ce qui arrivait à l’humain. Non que la dimension surnaturelle de Midnight Special ne soit pas importante ou soignée, mais c’est avec une délicatesse, une intelligence et une retenue formidables qu’elle est traitée (que l’on songe à ce tapis d’herbe s’inclinant magiquement ou à l’interrogatoire du petit garçon par un agent spécial du FBI, interprété avec finesse et humour par Adam Driver). Et c’est  alors, parce que l’étrange et le fantastique n’existent pas uniquement pour eux-mêmes mais servent principalement d’arrière-plan, que le véritable enjeu de Midnight Special, celui-là même qui semble préoccuper Nichols depuis Shotgun Stories, Take Shelter et Mud – c’est-à-dire le désir de protection, animal et trouble, que l’homme ressent pour l’Autre (quel qu’il soit) – peut prendre toute la place.

Dosé, équilibré à la perfection, sobre et d’une maîtrise hallucinante, Midnight Special nous rappelle ainsi une simple leçon bizarrement balayée sous le tapis par un pan bien trop important du cinéma contemporain : ce qui compte, ce n’est pas le tape-à-l’œil, mais bien le récit. D’abord et avant tout le récit. Et c’est de cette façon, ainsi que par un regard final de Michael Shannon, qui joue le père de ce petit garçon, que l’on n’est pas prêt d’oublier, que ce film à la construction dramatique en crescendo imparable parvient à bouleverser. Simplement. Presque subrepticement.

La bande annonce de Midnight Special


6 avril 2016