Je m'abonne
Critiques

Midsommar

Ari Aster

par Gabriel Gagnon

Imaginez l’apocalypse sous la forme d’une fête païenne célébrée par des hippies en robes blanches et vous aurez une bonne idée de Midsommar, le dernier long métrage d’Ari Aster. Au cœur du film, une proposition formelle audacieuse et sans compromis, celle de faire de la lumière la source de l’horreur. Et quelle lumière ! Éthérée et enveloppante, évoquant le soleil toujours radieux des contes de fées et des légendes, une correspondance avec le merveilleux qui ne s’arrête d’ailleurs pas là. Le film tout entier est construit comme un conte initiatique, une énième variation sur le thème d’Alice au pays des merveilles où une jeune fille prisonnière d’une réalité décevante s’échappe vers un monde étrange qui se révèlera au final n’être que l’excroissance allégorique de ses problèmes refoulés.

Un groupe d’étudiants en anthropologie, friands d’exotisme, partent assister à une cérémonie centennale à la gloire du solstice sur une terre recluse de Suède. « Est-ce effrayant? » La question échappe malgré elle à Dani, la contrepartie dépressive d’Alice interprétée par une Florence Pugh dérangeante de vérité. Un questionnement que réitère constamment le réalisateur pendant plus de deux heures, comme une menace constante, celle de voir le conte se fissurer et révéler enfin son vrai visage. Car l’on sait pertinemment que tout finira mal et que le concours de danse autour d’un poteau totémique recouvert de fleurs n’est qu’un prélude à la boucherie et aux sacrifices pour la moisson.

L’efficacité de Midsommar réside dans l’attente de cette chute violente et brutale. Le point de rupture n’est jamais loin, il vibre dans l’image et dans les plans lents et contemplatifs. Une menace qui ne vient pas d’un hors-champ ou d’un recoin sombre, mais du visible et de la pleine et aveuglante clarté de la lumière. Le pittoresque de la région isolée devient alors le signe de l’épouvante à venir et la beauté, présage de la laideur. Mais une image ne peut à la fois être belle et laide, rassurante et effrayante. L’équivoque doit absolument être résolue. L’image en crise crée une tension palpable qui débouche souvent sur des scènes grotesques et sordides aux limites de l’horreur et du comique. On oscille alors entre deux pôles opposés qui nous plongent dans une transe nerveuse.

Toutefois, l’effet hypnotique de ce déséquilibre constant entre beauté, horreur, grotesque et comique perd à la longue de sa puissance. Une fois le principe opératoire du film et la subversion de la lumière en noirceur assimilés, le spectateur peine à trouver la profondeur qui permettrait de s’engager plus avant dans la proposition. À l’exception de Dani, la figure centrale du film, les protagonistes sont enfermés dans des clichés désespérants qui les rendent peu attachants. Et si, par sa prévisibilité, le scénario permet de faire planer un danger constant au-dessus de leurs vies, il désamorce également le sens de leurs actions en les soumettant à la volonté du récit. Évidemment, l’usage de stéréotypes et codes narratifs est inséparable du cinéma de genre et d’horreur, mais la mécanique est ici trop évidente. La maîtrise remarquable dont fait preuve le réalisateur dans la mise en scène et la prolifération de détails minutieusement placés pour suggérer une plus-value secrète réservé aux seuls initiés finit par se retourner contre le film. De la même façon qu’un glaçage trop parfait ne fait que souligner la fadeur d’un gâteau beige.

Ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé, surtout dans le dernier tiers du film qui cherche à tout prix à nous troubler par une surenchère de scènes obscènes et ridicules qui culmine par un jeu de bingo au cours duquel le patriarche tire au hasard les boules des sacrifiés. On sent bien qu’Aster aspire à l’épiphanie, qu’il cherche à nous faire atteindre cet état de grâce où le conte déborderait sur la vie et la contaminerait de son enchantement horrifique. Cet état qui voit le sourire se crisper dans un rictus d’effroi nous laissant incrédule face à nos propres émotions. On voudrait y croire et s’abandonner au délire, car Midsommar est un film attirant, plein de qualités indéniables et d’idées prometteuses.


15 juillet 2019