Milk
Gus Van Sant
par Bruno Dequen
Nous sommes à San Francisco en 1978. Seul dans sa cuisine, un homme raconte à un magnétophone, avec calme et précision, les huit dernières années de sa vie. Il s’appelle Harvey Milk, 48 ans, et il est le premier homme ouvertement gay à avoir obtenu un poste majeur dans la fonction publique américaine. Ayant le pressentiment que sa vie va peut-être s’achever (ou être interrompue) prématurément, Milk décrit son parcours de militant, d’amant et d’homme politique, afin que ses idées et son inspiration ne disparaissent pas avec lui.
Après quatre expériences cinématographiques (Gerry, Elephant, Last Days et Paranoid Park) qui l’ont consacré comme l’un des grands auteurs des dix dernières années, Gus Van Sant est de retour à Hollywood pour rendre hommage à l’un des militants gay les plus importants du siècle. Grandement aidé par une performance inouïe de Sean Penn, Van Sant réalise un ‘biopic’ remarquable et important. Superbement ficelé, son film nous présente un personnage si drôle, intelligent et charismatique qu’il est impossible de ne pas l’aimer. Véritable ode au militantisme, Milk aurait pu facilement tomber dans l’hagiographie simpliste.
Mais justement, la grande force du film est de ne pas présenter Milk comme un idéaliste naïf. Il est à la fois conscient de sa propre stature historique et de l’importance des médias dans la politique contemporaine. Lui-même narrateur de son parcours exemplaire, Milk est un prophète moderne qui construit sa propre légende sur magnétophone sans attendre le témoignage éventuel de disciples. Mais cette astuce scénaristique n’a pas tant pour objectif de montrer la roublardise du personnage que de dévoiler la nécessité de témoignage avant une mort certaine. Car Milk, tout comme les adolescents d’Elephant ou le Blake de Last Days, est un homme en sursis. Ainsi, le moindre de ses gestes prend d’autant plus d’importance que nous savons (et lui aussi) que la fin est proche. S’il ne cherche pas la mort, Milk ne fait rien non plus pour l’éviter, prononçant un discours alors qu’il vient de recevoir une menace de mort, et acceptant de suivre son ex-collègue Dan White dans un bureau alors que tout le monde vient de le mettre en garde contre lui.
Si la perspective d’une mort annoncée explique l’énergie que déploie constamment le personnage pour sa cause, son désir de témoignage reflète également l’importance que Milk accorde aux moyens de communications. D’ailleurs, Milk explique dès le début du film qu’il avait développé des stratégies de discours adaptées au type de public qu’il rencontrait. Milk n’était pas un improvisateur inspiré, mais plutôt un orateur préparé et conscient de sa propre image (qu’il modifie d’ailleurs rapidement lorsqu’il échoue une première fois aux élections).
Cette importance que Milk accorde aux médias est reflétée par la forme même du film, qui est rempli à craquer d’images d’archives, de coupures de journaux et de reportages télévisuels. Cette omniprésence d’images médiatisées permet au film d’éviter de tomber dans la nostalgie historique, puisque ces images sont semblables à celles qui nous entourent constamment. Ainsi, la victoire de Milk contre la proposition de loi 6 (interdisant aux gays d’enseigner dans les écoles) fait douloureusement écho à l’adoption récente de la proposition de loi 8 (interdisant le mariage homosexuel). Si le film de Van Sant nous rappelle bien que la lutte n’a jamais été facile, il nous démontre aussi que le charisme médiatique est une puissance qui, bien utilisée, peut permettre le changement. Il ne nous reste plus qu’à espérer que Barak Obama saura exploiter l’impact de son charisme avec autant de réussite qu’Harvey Milk.
4 Décembre 2008