Miraculum
Podz
par Céline Gobert
Le quatrième film de Podz s’intitule Miraculum, mais il aurait pu s’appeler Fatum. En effet, ce film choral calibré pour le grand public a deux objectifs : célébrer le miracle qu’est la vie, et, s’intéresser de plus près aux notions de Destin, de destinées, de marche commune vers cette issue similaire qu’est la mort. Fatum aurait toutefois induit un imaginaire un peu sombre dont est totalement dépourvu Miraculum. Ce film, exagérément édulcoré et gentillet, n’a pas d’autre visée que le simple divertissement mainstream vaguement spirituel et humaniste, ce qui explique en partie sa spectaculaire noyade et dans l’épate (casting quatre étoile sous exploité, reconstitution blockbuster de l’épave de l’avion), et dans l’effleurement poli de thématiques pop à la mode (le soi, les autres, la Vie). Miraculum, c’est du Guillaume Musso sur pellicule. Ou encore du Daniele Thompson à la québécoise. Ce qui n’est pas vraiment un compliment.
Afin d’asseoir son carpe diem pour grand-mères, et montrer qu’il faut urgemment profiter de la vie, le réalisateur Podz et l’acteur/scénariste Gabriel Sabourin, dont c’est la première écriture en solo, ont logiquement choisi des personnages qui n’en profitent pas. Limpidité oblige. A l’écran, nous avons plusieurs couples. Un couple de témoins de Jéhovah : il est leucémique (Xavier Dolan), et ne peut se soigner car il se refuse par croyance religieuse à toute transfusion sanguine ; elle est infirmière (Marilyn Castonguay). Un couple sur le déclin : la femme (Anne Dorval) est alcoolique, l’homme (Robin Aubert) est un accro aux jeux. Un couple d’amants se retrouvant une seconde jeunesse sur des banquettes arrières (Julien Poulin et Louise Turcot). Et, enfin, un couple de frères fâchés (Gabriel Sabourin et Jean-Nicolas Verreault), l’un passeur de drogues, l’autre agent de sécurité à l’aéroport. Des hommes et des femmes dépendants, grossièrement taillés à la serpe par l’écriture patapouf de Sabourin qui dévoile des ficelles aussi énormes que la catastrophe qui s’apprête à s’abattre sur eux : le crash d’un avion Montréal-Cuba.
Ecriture qui – surtout – ne va jamais au-delà de la cage réservée sur papier aux personnages. Anne Dorval, par exemple, toujours épatante même lorsqu’elle n’a que très peu à défendre (comme ici), incarne une femme alcoolique. On la verra boire au goulot dans sa cuisine, déambuler hagarde dans un supermarché, pleurer dans une cabine d’essayage, arborer des verres fumés dans le hall d’un aéroport. Et c’est tout. Or, ce même procédé réducteur digne d’une formule-vignette est apposé sur chaque protagoniste de l’histoire. Des gens que Podz et Sabourin désirent rendre cinématographiques, mais qu’ils transforment en fantômes de papier, en ectoplasmes figés que le scénario condamne au surplace. Des gens – désirés « comme tout le monde », voulus symboles et « microcosme », et auxquels le spectateur est supposé s’identifier – in fine constamment emprisonnés, empêtrés dans un instantané-cliché à la psychologie filiforme dont on peut faire le résumé en une phrase, déviance évidente d’une plume sans profondeur.
Formellement, la volonté excessive de limpidité conduit à une lourdeur similaire : la danse en va et vient se rêve aérienne et élégiaque, alors qu’elle est plombée par des accords musicaux et des travellings systématiques qui dénotent encore une fois d’une pauvreté créative tendant davantage vers l’assommant que le divertissant, où tout est lâché sans grâce et sans finesse visuelle et symbolique, à l’instar de cette géante publicité sur un bus montréalais qui nous assène un trop évident « Protégez la vie des gens que vous aimez ». Les intentions du discours, ainsi over-décryptées et mises en avant sans mystère ni complexité, en plus de révéler un grossier (voire quasi insultant) pré-mâchage fait aux spectateurs, conduisent à un néant philosophique. Summum atteint dans l’aphorisme confondant de bêtise qui clôture le film : « Si l’avion tombe, c’est que votre Dieu tout-puissant, il n’existe pas » qui parallélise de façon inepte l’existence d’un Dieu et une catastrophe aérienne. Quel rapport ? En quoi un crash démontre-t-il la non existence divine ? En quoi cela devrait-il venir questionner la foi ? Parce qu’il ne va jamais très loin dans la pensée, Miraculum, véritable guide d’éveil spirituel du pauvre, ramène les richesses et les contradictions de sa prémisse à l’état zéro de la réflexion, à la profondeur de discussions d’ascenseur. Cette question religieuse, justement, balancée au cœur d’un ésotérico-pandémonium existentiel poussif qui mélange tout et n’importe quoi (la foi, l’extrémisme, la fatalité, l’idée d’un destin et d’un Dieu, la mort, la maladie), aurait pourtant pu être fouillée autrement via les amoureux témoins de Jéhovah (qui auraient mérité à eux seuls un film entier tant les problématiques latentes qu’ils contiennent sont fascinantes). Ce ne sera jamais le cas : Miraculum, machine qui tourne à vide, à peine sauvée du gigantesque désastre par sa distribution de luxe (sacrifiée, on s’entend), flirte avec les grands et beaux concepts mais n’en étreint absolument aucun.
28 février 2014