Miraï, ma petite sœur
Mamoru Hosoda
par Samy Benammar
Dans la cour de la maison familiale, Kun s’enfuit, jaloux de la naissance de sa petite sœur Miraï. Il y rencontre un prince. Au bas de son dos, une queue animale nous fait vite comprendre qu’il s’agit là de nul autre que son chien, aperçu plus tôt à quatre pattes, ici personnifié par l’esprit du garçon. Commence alors une quête identitaire, celle d’un fils qui, au fil de ses rêveries, devra accepter et comprendre son rôle de grand frère. Sans détour, Mamoru Hosoda revient à une problématique qu’il questionnait déjà dans Summer Wars (2009) : la complexité des liens conflictuels et immuables au sein de la famille.
Dans ses précédents films, cette réflexion se construisait en sous-texte d’une intrigue à l’imaginaire décomplexé si caractéristique des films d’animation japonais. Miraï, à l’inverse, en s’ouvrant sur des photographies qui contextualisent le récit, de manière peut-être un peu facile mais efficace, met d’emblée les relations familiales au cœur de son propos. En découle un récit plus mature grâce à l’imagination de Kun qui devient une porte d’entrée vers l’ensemble des scènes fantastiques. Les différentes crises du garçon s’incarnent dans des apparitions : d’abord son chien et, plus tard, sa sœur adolescente. Si, dans Les enfants loups (2012), l’univers était ouvertement merveilleux, Miraï est plus consistant dans ses métaphores qui se développent à partir d’un cadre réaliste.
Le film ne manque pas de justesse ni dans sa représentation des situations familiales ni dans le réalisme de ses personnages criant de vérité tant par les dialogues qu’à la faveur d’une animation aux détails aussi subtils qu’indispensables. En descendant les escaliers, Kun trébuche sur une marche, élément apparemment insignifiant mais qui confère, comme beaucoup d’autres, une grande consistance aux corps animés par un effet d’accumulation. Les enjeux sont cependant vite compris, et le film souffre dès lors de sa structure, prisonnière des crises à répétition du jeune protagoniste. Certes, cette redondance peut s’expliquer par la volonté de Mamoru Hosoda de développer un conte sur l’enfance où l’apprentissage de notions comme celles de la fraternité et du comportement en société passent nécessairement par un rabâchage, mais cela n’excuse pas certaines longueurs. On se réjouira toutefois des situations qui échappent à la corrélation directe entre la réalité et l’imaginaire de l’enfant, comme lorsque ce dernier croise un grand-père qu’il n’a jamais rencontré, nous amenant alors à questionner le statut de ses fantasmes.
L’animation témoigne de la maîtrise du studio Chizu, perfectionnant son style à chaque nouvelle production. On retrouve le superflat de Mamoru Hosoda, technique consistant en un aplat des personnages dessinés sans ombrages ni profondeur quelconque, et ses fonds hyperréalistes qui viennent s’opposer à la simplicité des corps. Moins tapageur que dans ses autres films, le procédé est ici utilisé avec parcimonie et la fluidité de l’ensemble est remarquable. Lors de la rencontre de Kun avec le prince, tous deux se mettent à courir autour d’une fontaine, et on est surpris par la manière dont les animations se fondent dans ce décor où les reflets de l’eau brillent par le réalisme de leur texture tandis que les mouvements des personnages sont rendus tangibles par l’irréalisme de leurs déformations. D’ailleurs, le film ne se repose jamais sur ses lauriers et Mamoru Hosoda propose plusieurs séquences originales. L’animation ne cesse de se renouveler au cours de l’aventure de Kun, passant notamment d’un agent de sécurité découpé dans du carton à un train couvert d’une fourrure en trois dimensions qui rend parfaitement compte de l’aspect cauchemardesque de la séquence. L’animation n’est pas toujours réussie, mais elle ne manque jamais d’audace : plus qu’un effet de style, elle épouse souvent les thématiques du film, mêlant rêve et réalité.
La fin, quant à elle, évacue ces frontières troubles qui faisaient pourtant tout le sel de l’histoire, en offrant une explication ‘rationnelle’ aux apparitions, les inscrivant ainsi dans une fable assez bancale où l’arbre généalogique devient un lieu de rencontre métaphysique au sein duquel l’enfant doit accepter son histoire familiale pour retourner dans sa réalité. Cette fin, où la version adolescente de Miraï s’improvise en Peter Pan asiatique, plaira sans doute aux plus jeunes. Bien qu’elle soit assez maladroite, elle s’inscrit de manière cohérente dans la mythologie de Mamoru Hosoda et ne fait finalement que nous rappeler, comme l’enfant au fond de la salle de cinéma qui s’exclame « il pleut beaucoup ! », que Miraï reste un film pour la famille. Un film qui questionne celle-ci parfois simplement, mais avec une animation sans cesse surprenante.
14 mars 2019