Je m'abonne
Critiques

Montréal La Blanche

Bachir Bensaddek

par Helen Faradji

Une femme, un homme, un taxi et une nuit. Mais pas n’importe quelle nuit. Celle de Noël. Le cadre, d’une simplicité presque enfantine, est posé. Et bien que l’idée d’un « film de Noël » puisse légitimement faire peur, Montréal La Blanche la réinvente avec une intelligence rare. Car cette nuit de Noël, choisie par Bachir Bensaddek, ici à sa première fiction après plusieurs documentaires télé, tombe aussi en plein mois de Ramadan. Ajoutons que la présence de cet homme et cette femme, tous deux d’origine algérienne, n’induira pas l’usage prédéterminé des codes mielleux de la comédie romantique, mais au contraire évitera tout rapport de séduction ou de domination pour mieux circonscrire une rencontre, celle d’un homme qui préfère travailler alors que sa famille l’attend et d’une femme qui cherche à retrouver son ex-mari ayant la garde de leur petite fille.

Se débarrassant donc des clichés associés à deux des genres les plus éculés du cinéma mondial, Montréal La Blanche, adapté d’une pièce de théâtre documentaire de 2004, va alors plutôt enrichir son approche d’un rapport au réel précis et subtil – chassez le naturel, il revient au galop -, dressant en filigrane de son récit un portrait de Montréal, observé avec sobriété et élégance à travers les vitres de ce taxi, et révélant une métropole multiculturelle riche et complexe. Une ville vivante, que les cinéastes québécois ont rarement su ou voulu montrer, et où les valeurs de partage, d’échange, d’ouverture à l’Autre sont non seulement désirées, mais véritablement incarnées, le tout sans angélisme. Un échange de desserts entre les premiers clients du chauffeur de taxi : sucre à la crème pour eux (un père Noël et son elfe), makroud pour lui ; des musiciens arabes jouant avec leurs instruments traditionnels des chants de Noël… les images sont peut-être faciles, elles n’en restent pas moins d’un symbolisme puissant et réconfortant.

Mais heureusement, le film ne s’arrête pas en si bon chemin. Au cœur de son projet : l’intégration et ses mille et une problématiques. Sans jamais se transformer en pensum sociologique ou programme politique réducteur et sensationnaliste, voilà donc Montréal La Blanche reprendre à son tour cette bonne vieille dialectique « Eux / Nous », grande préoccupation du cinéma québécois de ces dernières années. Mais, contrairement à la candeur maladroite de Monsieur Lazhar, de la redondance de Là où Attila passe ou de la provocation puérile de Noir (Nwa), Montréal La Blanche adopte plutôt, comme le faisait par exemple Roméo Onze, un point de vue de l’intérieur qui permet non pas de plaquer des thèmes et des idées sociopolitiques choisis d’avance sur des situations narratives, mais bien de laisser naturellement ces thèmes et pistes de réflexion naître de la rencontre entre deux personnages complexes, forts et vulnérables à la fois, perdus et peinant à avancer. Lui parce que son passé tragique en Algérie le hante toujours, tout particulièrement lorsque la faim et la soif le tenaillent, elle parce qu’elle a définitivement tourné la page d’hier mais que son aujourd’hui ne s’est pas révélé aussi nourrissant qu’espéré. Sans jamais asséner de réponses toutes faites, le film va alors faire se croiser les visions de cet homme et de cette femme, et ultimement les laisser se nourrir l’une l’autre, en posant autant de questions que leur situation le nécessite : comment assumer son héritage, que faire de ses racines lorsque l’on vient d’ailleurs, qu’est-ce qu’implique recommencer sa vie, comment vivre sa religion de façon moderne tout en respectant les traditions, comment repenser les relations hommes/femmes… ? Pas d’affrontements ici, pas de chocs spectaculaires, mais simplement une discussion, certes parfois alourdie par quelques dialogues trop écrits ou une dramaturgie progressant par à-coups, mais mise en valeur par une mise en scène sans poses ou flafla, portée par une direction photo riche et texturée qui sublime deux acteurs d’un naturel et d’une énergie saisissants (Karina Aktouf et Rabah Aït Ouyahia, dont la présence singulière avait déjà été remarquée, il y a longtemps, dans L’Ange de Goudron de Denis Chouinard).

Attentif et sensible, généreux et ouvert, Montréal La Blanche fait la preuve tangible que cette diversité des regards, régulièrement appelée de nos vœux pieux, n’est pas qu’un objectif gouvernemental bien-pensant. Elle est ce qui nous ouvre les yeux sur notre réalité. Elle est ce qui nous aide à mieux comprendre notre monde. Elle est une richesse. En plus d’être à la source de beaux films aussi inspirés qu’inspirants.

La bande annonce de Montréal La Blanche


22 mars 2016