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Critiques

Montréal New Wave

Érik Cimon

par Ralph Elawani

Premier long métrage documentaire d’Érik Cimon (Mtl Punk : La première vague), Montréal New Wave s’inscrit dans une mouvance qui a poussé des réalisateurs d’un peu partout dans le monde à regarder dans l’angle mort culturel de communautés de plus en plus exiguës, pour s’intéresser à des courants musicaux dont les différentes scènes ont évolué à la fois de manière parallèle et convergente. On repense, entre autres, à des films comme You Weren’t There: A History of Chicago Punk (Joe Losurdo et Christina Tillman), Des jeunes gens modernes (Jean-François Sanz), The Last Pogo (Patrick Lee et Colin Brunton) et A Band Called Death (Jeff Howlett et Mark Covino).

Le revers du terroir

À première vue, la prémisse du film de Cimon ne déroge pas à la thématique classique du documentaire sur la new wave. La fin des années 1970 est présentée de manière aussi noire que la pandémie de peste bubonique du 14e siècle, avec en filigrane l’économie incertaine qui laissera le champ libre aux années Reagan-Thatcher. Les appartements miteux, couplés au chômage, permettant de vivre dans un 5 ½ avec les membres de son groupe, sont alors autant de circonstances qui favorisent une entrée dans l’histoire par la porte arrière. Autrement dit, l’esprit même du « pessimisme combatif » y est à son comble, pour reprendre les mots de l’écrivain et acteur Christophe Bourseiller, l’un des nombreux intervenants du film.

Une amorce classique donc, jusqu’à une phrase-guillotine de l’artiste Michel Lemieux, échappée quelques minutes à peine après les premières images des groupes Pop Stress et Trans-X : « Au début des années 1980, on avait comme une espèce de ras-le-bol du terroir et on avait envie d’aller ailleurs, à l’international […] on avait besoin de s’ouvrir. »

Cette simple constatation permet de conclure que la situation politique propre au Québec était dans une impasse et se devait d’être reconsidérée. Une observation peut-être aussi naïve (considérant que Montréal New Wave a été réalisé justement parce que cette période de l’histoire musicale du Québec avait été oubliée par bien des ténors de l’ouverture sur l’ « international »)  que celle que Lemieux avait faite trente ans plus tôt et que l’on peut entendre dans le film  (« Les ordinateurs vont nous remplacer tranquillement. On  va avoir une société beaucoup plus basée sur les loisirs et tout le travail plate de bureau et de paperasse, on n’aura plus besoin de s’en occuper »), mais qui demeure une admirable manière de résumer la pensée d’une génération à la remorque des baby-boomers. Une génération qui, bien que boudée par l’histoire, a vu son modus operandi récupéré par les forces politiques tentant de prendre le contre-pied du mouvement souverainiste.

Une ville à marée basse

Dans un Montréal post-référendaire « à marée basse », comme l’exprime Jean-Luc Bonspiel dans un vernaculaire loin des « m’a aller m’tuer » de son groupe Le Vent du Mont Schärr, on comprend rapidement que l’une des raisons qui a permis d’élever au rang de célébrités mondiales des formations telles que Rational Youth, Men Without Hats et Trans-X – mis à part leur sens de la mélodie –  tient à leur usage de la langue anglaise.  Celle-ci leur aura permis de ne pas se retrouver, contrairement à plusieurs, filed under  littérature/musique/cinéma « étrangers ». À ce titre, il est intéressant de placer Montréal New wave en dialogue avec le documentaire de Jacques Godbout Québec Soft (La musique adoucit les mœurs) (1985) afin de mieux comprendre le contexte sociohistorique en jeu. On gardera en tête le postulat énoncé par Luc Plamondon dans le film de Godbout : « Y’a une musique dans le monde. Les Japonais font la même musique que les Italiens ou les Allemands. Et la langue qui charrie cette musique-là, c’est l’anglais. ». Idem pour la remarque de l’écrivain et économiste Jacques Attali : « Si les Beatles avaient été Polonais, vous n’en auriez jamais entendu parler. C’est parce qu’ils s’exprimaient dans la langue du ‘‘centre’’ que leur révolte a pu devenir mondiale. »

Néanmoins, à l’époque de l’arrivée de MTV, plus d’un facteur semble avoir influencé la carrière des groupes, une fois surmonté l’écueil de la barrière de la langue. Comme le mentionne un membre de Terminal Sunglasses : « What you looked like had to be equally important to what you sounded like. » Cette emphase mise sur l’image s’avèrera cruciale, quoique quelque peu totalitaire, quand on pense qu’American Devices, Iko, Heaven Seventeen et autres Monty Cantsin auront connu un succès confidentiel en comparaison de Men Without Hats ou de la compagnie de danse contemporaine La La La Human Steps pour qui la barrière linguistique ne fut évidemment pas un obstacle.

Faire abstraction du poids des fantômes

La finesse du documentaire de Cimon réside peut-être dans le fait de ne pas rendre trop pesant le fantôme d’une génération, en présentant celle-ci comme une occurrence sans passé ni futur, dont les protagonistes seraient traités comme des fossiles fonctionnels se ressuscitant dans la nostalgie. Ce n’est donc pas le pressentiment de la disparition de la new wave qui motive le récit du film, mais bien l’impression que ce courant a tout simplement pavé la voie à d’autres genres musicaux, notamment la techno. Comme l’exprime l’ancien DJ Eduardo Cabral, aujourd’hui propriétaire du magasin de disques Sonorama : « Quand New Order a fait sa chanson Blue Monday, tu pouvais dire : ‘‘ le new wave, ça finissait ’’. »

Au terme des 92 minutes de ce long métrage, on en vient finalement à constater l’influence d’une génération qui a été un acteur-clé dans l’affirmation d’une identité québécoise ayant évolué rapidement. Pour citer Bonspiel (un brin naïf, on en conviendra) : « C’est peut-être la fin de la colonie. C’est peut-être une indépendance qui est arrivée sans qu’on s’en rende compte. »

La bande annonce de Montréal New Wave


28 avril 2016