My Sweet Pepper Land
Hiner Saleem
par François Jardon-Gomez
Pays qui cherche depuis la chute de Saddam Hussein à fonder sa propre démocratie, le Kurdistan peine à se reconstruire. Baran (Korkmaz Arslan), ancien héros révolutionnaire devenu policier – à la fois parce que c’est ce qu’il sait faire de mieux et pour fuir sa mère qui ne rêve que de pouvoir le marier – cherche à faire appliquer la loi dans tous les coins du pays. À ses côtés se trouvera Govend (Golshifteh Farahani), la belle institutrice elle-même en fuite de sa famille étouffante qui désire la marier contre son gré. Lui croit aux vertus de la loi et de la démocratie, elle tente de défendre son statut de femme libre et indépendante dans une société foncièrement machiste. Envers et contre tous, la belle et le justicier tiendront tête au criminel Aziz Aga dont la famille règne sur la région depuis des décennies.
Dans My Sweet Pepper Land, présenté en 2013 dans la sélection Un certain regard du Festival de Cannes, le désert de l’Ouest américain est remplacé par les montagnes rocailleuses du Qamarian, région du Kurdistan à la frontière de la Turquie, de l’Iran et de l’Irak et comparée à un « triangle des Bermudes » judiciaire où la contrebande de faux médicaments fait rage. Certaines références esthétiques du western – image surexposée, acteurs filmés en très gros plans, champs contrechamps de regards entre les personnages – sont convoquées dès la séquence d’ouverture, en plus d’une musique aux accents morriconiens qui donne rapidement le ton. La mise en scène de Saleem passe par le b.a.-ba du genre en usant habilement de la conjonction entre gros plans qui découpent les corps – humains et animaux – qui habitent l’écran et un usage généreux du grand angle qui transmet toute la magnificence des paysages kurdes et permet au film de bien respirer.
Le cinéaste prend le pari d’aborder des thématiques rudes par la voie de l’humour absurde, à l’image de l’ouverture où la première exécution capitale par pendaison de l’histoire du pays – à laquelle assistent quelques notables – est compromise par manque d’organisation. Le seul problème du film, c’est de ne pas réussir à maintenir le standard imposé par ces premières minutes grinçantes et de rester trop collé à la tradition du genre dans le développement de l’intrigue qui devient rapidement prévisible. Bien que les blagues fassent généralement mouche, le ton corrosif que laissait présager le début du film fait progressivement place à un humour moins mordant au fur et à mesure que le seigneur local découvre que le nouveau shérif est aussi têtu dans sa volonté de faire respecter la loi qu’habile un AK-47 (à défaut d’une Winchester) à la main.
Malgré tout, Saleem réussit à évoquer la situation politique trouble d’un territoire généralement ignoré par le cinéma en récupérant l’esthétique du western, mais également ses archétypes pour réfléchir à l’avenir de sa région natale (stratégie par ailleurs déjà employée à propos d’une région proche, quoi que dans un registre complètement différent, par Nuri Bilge Ceylan avec Once Upon A Time in Anatolia). Le cinéaste livre en somme un discours politique militant fort rappelant que la justice, la sécurité et l’application des lois sont condamnées à l’absurdité perpétuelle si elles ne font pas la part belle à l’égalité homme-femme et à l’éducation des enfants. C’est d’ailleurs avec la place faite aux femmes que Hiner Saleem insuffle à son western un élément rafraichissant. Govend n’est pas qu’une potiche servant de faire-valoir au justicier solitaire, mais l’égale de celui-ci dans la manière de tenir tête aux lois ancestrales qui freinent l’avènement vers une démocratie digne de ce nom. L’importance dans le récit d’un groupe de femmes kurdes de Turquie qui luttent pour leur liberté et trouvent refuge dans ce maquis situé à la frontière des trois pays est d’autant plus significative qu’elle décharge un peu Baran de son rôle de justicier solitaire.
Peut-être malgré lui, Saleem dévoile dans son plan final (cadrant une dernière fois le paysage du Kurdistan plutôt que les retrouvailles entre Baran et Govend) que le destin du pays lui importe plus que celui de ses protagonistes. À défaut d’avoir une proposition dramatique surprenante et véritablement poignante, le cinéaste signe avec My Sweet Pepper Land un sans-faute esthétique et politique.
La bande-annonce de My Sweet Pepper Land
10 juillet 2014