Nadia, Butterfly
Pascal Plante
par Jérôme Michaud
La carrière d’un athlète professionnel est généralement remplie de hauts et de bas, d’ultimes victoires et de décevantes défaites. Avec Nadia, Butterfly, son second long métrage, Pascal Plante s’attaque à un passage névralgique et obligé pour tous les sportifs de haut niveau, celui de devoir un jour mettre un terme à leur carrière. Au lieu de centrer son film de façon convenue sur les derniers exploits sportifs de sa protagoniste, Plante propose plutôt d’explorer plus en détail les jours qui suivent la dernière compétition de celle-ci. Nadia, nageuse professionnelle, sait avant même de s’élancer dans la piscine des Jeux olympiques de Tokyo qu’elle mettra un terme à sa carrière à la suite à cette prestigieuse compétition. Tout son entourage et les médias sont au fait de la situation et on ne cesse de lui demander pourquoi elle désire prendre sa retraite de la compétition si tôt alors qu’elle est encore suffisamment jeune pour entreprendre un autre cycle olympique. Dans une ambiance tendue où cette décision est mal comprise et souvent contestée, Plante propose, à la faveur d’un récit minimaliste et singulier, un portrait psychologique à vif empreint d’une authenticité marquée qui prend racine dans une mise en scène sentie.
Les premières scènes du film parviennent efficacement à condenser les dernières épreuves olympiques de Nadia. L’ultime compétition de l’athlète québécoise se fait en équipe et Plante accompagne judicieusement les nageuses canadiennes à leur bloc de départ. Il reste alors avec elles, sans couper, sauf pour suivre Nadia lors de sa portion de la course. L’effet de proximité et de continuité fonctionne à merveille, donnant une excellente idée de l’ambiance et de la tension que les athlètes vivent. Nadia demeure le point focal à l’image et chacun de ses regards, dans lesquels on peut déjà déceler une part de mélancolie, surtout lors de l’entrevue à la sortie de la piscine, possède une puissance d’évocation majestueuse. Cette scène, la plus mémorable du film, confirme la belle maîtrise de la durée chez le réalisateur qu’on avait déjà remarquée dans les scènes filmées sur la longueur dans Les faux tatouages. Plante a parfaitement compris qu’il vaut parfois mieux laisser vivre au spectateur un moment névralgique dans son intégralité plutôt que de le décomposer en de multiples plans, chose que peu de cinéastes maîtrisent aussi bien, ce qui dénote d’ailleurs une grande qualité dans la direction d’acteur.
Plante a su tirer profit de l’opportunité qu’il a eu de travailler avec d’authentiques nageuses, dont Katherine Savard, médaillée de bronze aux Jeux de Rio, qui incarne avec justesse Nadia. Dès le début du film, un magnifique ralenti la fait nager de face au-dessus de la caméra qui est placée sous l’eau. Toute sa musculature est ainsi mise en valeur dans l’exécution même des mouvements propres à son sport. Filmer le corps de Nadia, qui n’est pas toujours le personnage le plus émotif, constitue également une autre avenue empruntée pour rendre sensible sa psyché, ce qui devient l’enjeu central du film une fois les compétitions terminées. Plante montre à quelques reprises sa protagoniste dans une position au sol, alors qu’elle est assise sur ses chevilles hyperlaxes qu’elle fléchit au maximum. Cet exercice d’étirement commun aux nageurs, tout en marquant un moment méditatif pour Nadia, a une valeur de pose esthétique et athlétique sous la caméra de Plante. Cette attention délicate portée au corps de sa protagoniste en magnifie la grâce et en dénote également la singularité et l’évanescence. L’entretien que Nadia apporte à son corps, même à l’issue de la dernière compétition, convoque le lent changement qui l’attend dans son rapport à celui-ci, une forme de nostalgie émanant déjà de cette répétition réconfortante des mouvements d’étirement tant de fois répétés mécaniquement auparavant.
Filmer la charpente massive de Nadia est d’autant plus signifiant qu’elle entre en contraste avec son attachante naïveté d’adulescente. Lors de la soirée bien arrosée qui suit la compétition par équipe, Nadia révèle que sa carrière sportive l’a tenu à l’écart de ce qui marque normalement l’adolescence de la plupart des gens. Elle ne s’est jamais permise d’avoir des relations amoureuses ou de faire la fête avec des amis par exemple. Pour sortir de sa vie d’athlète professionnel de haut niveau, elle doit lentement s’extraire d’une routine rigoriste profondément intégrée depuis sa tendre enfance. Alors que tout était relativement calibré pour Nadia (entraînements réguliers, repas dosés et limitation des excès en tout genre), l’après-carrière lui ouvre une montagne de possibilités inexplorées si nombreuses qu’il est facile pour elle de s’y perdre. Plante parvient habilement à transmettre toute l’hésitation de sa protagoniste qui se laisse partiellement épauler par sa bonne amie Marie-Pierre. Incertaine des choix à faire, elle entame le début d’une sinueuse recherche de soi afin de découvrir qui est la Nadia qui va doucement émerger des eaux qu’elle quitte. La grande force de Nadia, Butterfly est d’avoir su si efficacement cristalliser dans ses menus détails tous les enjeux d’une vie en fin de carrière olympique, tout l’avant et l’après, de la jeunesse à l’âge adulte à venir.
Écoutez aussi notre podcast avec le cinéaste Pascal Plante.
28 septembre 2020