Nous sommes Gold
Éric Morin
par Gabriel Gagnon
Marianne retourne dans son village d’Abitibi, dix ans après l’effondrement de la mine. Elle revient à la maison familiale, littéralement à côté du trou à ciel ouvert, de la tombe encore béante de ses parents. Elle y va parce que c’est sa sœur qui organise les « célébrations » commémoratives, parce que c’est son devoir de mémoire, mais un devoir envers qui et pourquoi? Qu’est-ce qu’il y a donc à célébrer?
En enchevêtrant les thèmes du retour vers la terre natale et de la commémoration, Éric Morin rend compte brillamment d’une scission, d’un écart infranchissable entre ceux qui restent et ceux qui partent, entre les vivants et les morts. Une déclinaison sur la distance séparant les êtres que l’on retrouve dans ces panoramas à vol d’oiseau-drone surplombant la route 117 traversant le parc de la Vérendrye et surtout ceux, plus pesants, tournoyant autour du cratère de la mine. Ces moments de suspension semblent extraire, décoller le paysage du film. Morin, à l’évidence, sait ce qu’il fait et cette division de l’espace lui permet d’évoquer la mine et la catastrophe dont elle fut le théâtre, tout en la gardant hors de portée, comme une menace insaisissable. Rapidement, on comprend que ce qui intéresse le film, c’est le décalage, le village à côté du drame, le non-évènement après l’évènement. On est prisonnier d’un intervalle, d’un après impossible à rembobiner car les dix ans que prend Marianne pour revenir à son Ithaque nordique ne débouchent pas dans les bras d’une Pénélope pimpante, mais bien sur un fossé qui grandit à mesure qu’on en siphonne le ventre en or (comme le chantait Raoul Duguay).
Cette superposition d’écarts insurmontables pourrait crouler sous les apitoiements, mais on sent bien que le réalisateur veut aller ailleurs, qu’il cherche à excaver du fossé de la mine quelque chose comme une communauté. Dans Nous Sommes Gold, il y a ce « nous » revendicateur, presque provocateur qui veut affirmer une identité collective. Gold pour la mine, évidemment, mais surtout Gold pour le nom du groupe de musique que formait Marianne et ses deux amis d’enfance. C’est par la musique qu’ils se retrouvent, dix ans plus tard, c’est elle qui les unit encore. De la même façon, c’est le spectacle des retrouvailles du groupe, à la fin du film, qui rassemble les gens du village au bar. La trame sonore, dont Philippe B signe la composition, sert dès lors de liant, de fil tissant ce « nous ». Une idée formelle intéressante et particulièrement efficace lorsque la musique change d’intensité, quand la bande sonore ambiante et planante devient soudainement le son un peu plat d’une séance de grattage de cordes en salle de répétition. Dans ce passage d’une musique enveloppante et, pour ainsi dire, complète (parce qu’orchestrée en studio) à un son plus brut se dessine comme un pont entre pluralité et singularité. Dessin qui reste néanmoins à l’état d’esquisse car, et c’est bien dommage, ce « nous » n’advient jamais tout à fait.
Tous les ingrédients étaient là pourtant, mais il manque comme une flammèche, une fulgurance au film. On attend que la musique devienne vacarme, que les personnages s’exclament comme dans le poème de Miron : « je ne suis pas revenu pour revenir / je suis arrivé à ce qui commence », on y est presque… et puis non, ça passe. Surement est-ce trop en demander pour un second film, mais Morin met tellement bien la table qu’il nous donne faim, qu’on désire plus. On voudrait que les trois comparses, dans leurs errances un peu rebelles, se mettent à casser autre chose que des vitres.
Au final, c’est par une autre voie, plus subtile et fragile, que le film révèle toute l’humanité dont il est capable. Peut-être est-ce dû à sa propre expérience d’expatrié rouynorandien si Morin réussit à rendre de façon aussi juste et touchante les interactions quotidiennes, les petits moments où rien ne se joue et où les personnages se mettent soudainement à vivre. Un quotidien imprégné de tensions, mais qui ne devient jamais ni trop lourd ni trop larmoyant grâce à des pointes d’humour, parfois grinçantes et toujours bienvenues.
18 avril 2019