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Critiques

NOVEMBRE

Iphigénie Marcoux-Fortier et Karine van Ameringen

par Mélopée B. Montminy

Le onzième mois de l’année est mal aimé. Il est probable que les requêtes d’appareils de luminothérapie soient en hausse sur les moteurs de recherche, car la froideur, la fatigue et la déprime nous enveloppent. Pardonnez-moi d’ouvrir cette critique par ces remarques banales sur le temps qu’il fait, mais il demeure que c’est à ce mal de vivre collectif causé par ces ce déclin saisonnier qu’ont voulu s’attaquer Iphigénie Marcoux-Fortier et Karine van Ameringen, « Les glaneuses », en nous livrant Novembre, un documentaire lanterne qui nous fait déambuler dans un Montréal à la fois monochrome et bariolé. Il s’agit d’une balade en territoire urbain, qui s’amorce avec la rencontre d’un nouvel arrivant malvoyant dans un taxi, racontant son parcours sinueux. Alors qu’il s’adresse à la caméra, ses yeux abîmés posés vers nous, sa bouche, elle, nous sourit. C’est ainsi que nous sommes doucement propulsé·e·s dans cet univers en noir et blanc, habité par un contraste constant entre les difficultés vécues par les personnages et la chaleur qui en émane.

Dans la première partie du film, on se promène d’un intervenant à l’autre, au gré de liens explicites : du client au chauffeur de taxi, du cycliste à l’employé du magasin de vélo, etc. Il fait nuit et ces messieurs se confient. Il est entre autres question de camaraderie et d’isolement. À ce stade, on serait porté à croire que le film propose avant tout une observation sensible de la condition masculine qui mise sur la pluralité des regards. Mais la chaîne se brise, ou plutôt les chaînes, tandis que les filiations entre les individus deviennent plus abstraites et que la présence de protagonistes féminines vient diversifier davantage le panorama. À travers cette promenade montréalaise, nous avons parfois l’impression d’être, par le prisme de la caméra, un·e touriste qui recueille les confidences des passant·e·s comme on se livre à un quidam qu’on ne reverra jamais. Les monologues touchent une vastitude de sujets – de la philosophie aux petites choses du quotidien – et se répondent à l’occasion, notamment en ce qui a trait à la grande question théologique. En juxtaposant la vision du monde d’un nihiliste athée à celle d’une adoratrice de Jésus d’une rare piété, la pluralité cohabite en toute harmonie dans le cadre de ce projet documentaire.

chorale extérieur en hiver

Au sein de cette constellation d’êtres humains étincelants, on retrouve un jeune en situation d’itinérance pour qui l’odeur de l’urine sur la chaussée a quelque chose de réconfortant, de même qu’une mère de famille accomplie qui se questionne sur son avenir alors que tous ses rêves semblent réalisés. Malgré la disparité entre les destins, la mélancolie se pointe le nez à chaque parcours. Nous faisons aussi la rencontre de deux personnages qui incarnent l’esprit du film dans leur volonté de tisser du lien social. Deux humains qui ont décidé, pour se sortir d’une certaine torpeur, de propager la magie autour d’eux. Rien de moins. L’une est surnommée la fée du Mile-End (Patsy Van Roost) tandis que le second n’est nul autre que le père Noël. Nonobstant la présence de ces protagonistes l’aura enchanteresse, Novembre ne tombe pas dans le piège sirupeux de l’esprit de Noël de type miracle à l’hôpital pour enfants. Tandis que le père Noël fait ses emplettes chez Costco, la fée mentionne avec adresse, dans un plaidoyer pour l’esprit de voisinage, qu’elle aime bien dire qu’elle « fait le trottoir » ; c’est là que se passe la vie. Alors qu’elle nous parle de la petite fille aux allumettes, Patsy bricole des décorations pour ses voisin·e·s en faisant de petits trous dans des boîtes de chaussures. Le soir venu, tou·te·s  pourront admirer la lumière à travers les perforations, de fenêtre en fenêtre, de shoebox en shoebox. Cette image rappelle les paroles, souvent citées, d’une autre légende milendoise, Leonard Cohen : « There is a crack in everything, that’s how the light gets in. »

Cette « lumière », bien sûr, on la perçoit dans l’espérance des interlocuteurs et interlocutrices, dans la poésie comique de certaines images. Il y a par exemple cette discussion sur les codes vestimentaires genrés entre deux hommes qui s’adonnent au miniputt, lieu tapageur dont le décor est d’une certaine étrangeté lorsque dépouillé de ses couleurs. Or, puisqu’il s’agit de cinéma documentaire, on parle aussi de magie lorsque la spontanéité et le hasard réussissent à s’immiscer et à nous surprendre dans le détour. Cela arrive à quelques reprises au cours du long métrage, mais il est possible qu’en l’absence des moments davantage scénarisés, une plus grande place aurait été accordée aux événements fortuits. Cela dit, en dépit des quelques séquences où la mise en scène force certains moments de confidence, la féerie, jamais mièvre, opère. Et si les deux cinéastes s’étaient donné comme mission de faire un film comme on crée une courtepointe (tissu réconfortant s’il en est un), c’est réussi.


6 Décembre 2023