Omar
Hany Abu Assad
par Bruno Dequen
Nommé à l’Oscar du meilleur film étranger après un Prix du Jury dans la section Un Certain Regard du Festival de Cannes, Omar marque le retour à l’avant-plan du cinéaste palestinien Hany Abu Assad, huit ans après le succès de Paradise Now. Dans ses outils de promotion, la production insiste sur le fait qu’il s’agit d’un des rares films entièrement tournés en Palestine avec des techniciens palestiniens. D’un point de vue purement industriel, ce film marque donc une étape importante dans le développement de cette cinématographie locale.
Cette volonté de développement industriel explique probablement en partie le choix du cinéaste de faire de ce projet un thriller psychologique dans lequel le contexte politique demeure en arrière-plan par rapport aux rebondissements narratifs. Reprenant les codes et les techniques du cinéma narratif commercial, Omar utilise la situation de la Cisjordanie comme un simple décor permettant de raconter une histoire dramatique universelle. Amitiés et amours trahies sont au cœur de ce film qui évite sciemment le moindre questionnement politique ou éthique.
Comme l’annonce son titre, le film porte avant tout sur Omar, un jeune palestinien charismatique qui a pour habitude de franchir quotidiennement le mur le séparant de Tarek et Amjad, ses deux amis d’enfance vivant en territoire israélien. S’il prend de tels risques, c’est qu’il a une double motivation. D’une part, les trois amis ont décidé de devenir des résistants actifs, et ils préparent leurs premières opérations. Mais plus encore, Omar peut ainsi revoir régulièrement Nadia, la sœur de Tarek, dont il est secrètement amoureux. Capturé et torturé par la police israélienne, il sera relâché sous condition de livrer ses amis. Entre Nadia et sa cause, que choisira-t-il? Comme dans tout bon thriller, la situation est évidemment amplifiée par la recherche d’une taupe au sein des résistants palestiniens. Bref, c’est Homeland en Cisjordanie.
Si ce désir de produire malgré la situation du pays un type de cinéma à visée populaire est louable, force est d’admettre qu’Omar ne réussit qu’à moitié son pari. D’un strict point de vue technique, rien à dire, comme dans la plupart de ces productions. Le récit est bien mené, les acteurs sont talentueux, et de nombreuses scènes de poursuite et de tension sont efficaces. Là où le bat blesse, c’est au niveau de la psychologie des personnages. Pour transcender la simple efficacité narrative, ce type de récit fondé sur le questionnement éthique et la paranoïa nécessite des personnages complexes et imprévisibles. Or, rien ne pourrait être plus simple que l’univers d’Omar. Le personnage lui-même n’est finalement qu’un gentil garçon fidèle (en amour et en amitié) aux prises avec une situation inextricable. Même chose pour tous les autres personnages du film, incluant l’agent israélien, présenté comme un fonctionnaire n’ayant pas le choix de faire son travail. Le dilemme entre amour et convictions politiques n’est donc absolument pas développé ni même problématisé, sans même parler du suspense qui ne fonctionne ainsi qu’à moitié, puisque toutes les actions des personnages sont présentées comme plus qu’inévitables. Pourquoi Omar et ses amis décident-ils de se lancer dans la lutte armée clandestine? Parce que. Omar hésite-t-il à trahir ses amis? Non.
Le problème n’est pas tant de refuser d’explorer intelligemment la situation actuelle en Cisjordanie (ce n’est clairement pas l’objectif de ce type de film), mais plutôt que les personnages eux-mêmes ne soient conçus exclusivement qu’en fonction de leur utilité narrative. Le cœur dramatique du film ne tourne finalement qu’autour d’un simple trio amoureux déjà-vu. À côté d’Omar, Homeland possède presque une profondeur dostoïevskienne! Finalement, Omar, c’est l’histoire de trois gars (et une fille) formidables nés au mauvais endroit. À aucun moment ne sommes-nous placés en position de questionnement par rapport à leurs actions. Omar peut presque se résumer ainsi : les amis, c’est pour la vie, même quand on vit en Cisjordanie.
La bande-annonce d’Omar
20 février 2014