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Critiques

Paradise Lost 3: Purgatory

Joe Berlinger

par Bruno Dequen

Comme son titre l’indique, Paradise Lost 3 est le troisième volet d’une trilogie documentaire. Sur près de vingt ans, cette saga a suivi pas à pas le cas des « West Memphis Three », trois jeunes des quartiers pauvres de Memphis condamnés en 1994 pour les meurtres de trois garçons retrouvés dans le bois. Avec The Thin Blue Line d’Errol Morris, cette trilogie réalisée par Joe Berlinger et Bruce Sinofsky (également responsables de Some Kind of Monster, le célèbre documentaire sur Metallica) fait partie de la très courte liste de documentaires ayant eu un impact réel et immédiat sur le monde.

Très médiatisé (notamment parce qu’il était le premier film pour lequel Metallica avait accepté de donner ses chansons gratuitement), Paradise Lost : The Child Murders at Robin Hood Hills, qui retraçait le déroulement d’un procès trouble au terme duquel les trois jeunes avaient été condamnés sans la moindre présence de preuve, a immédiatement permis de faire des « West Memphis Three » une cause célèbre que de nombreuses vedettes se sont appropriée. Cette visibilité et la levée de fonds qu’elle a permis sont, selon Damien Echols, le leader supposé du trio et seul condamné à mort, les principales raisons pour lesquelles il n’a pas été tué rapidement. Le rêve de tout documentariste en quelque sorte.

Il n’est pas indispensable de voir les deux premiers volets pour comprendre ce dernier opus. La première demi-heure offre un bref récapitulatif des faits pour les nouveaux-venus. Et quels faits! Tout comme Capturing the Friedmans, Paradise Lost raconte une histoire qui, par son absurdité et ses multiples rebondissements, dépasse toute fiction. En 1994 donc, quelques semaines après la découverte des cadavres, la police de Memphis arrête trois jeunes suspects. La seule preuve contre eux est l’aveu douteux de culpabilité de Jessy Misskelley Jr., atteint de déficience mentale, après plus de 17 heures d’interrogatoire… Pour le reste, l’accusation se fonde sur le profilage social et culturel des trois jeunes. Habillés de noir, solitaires, amateurs de musique metal, ils sont décrits par les procureurs comme des satanistes ayant perpétré un meurtre rituel. Comme dans les pires cauchemars de Fritz Lang, la foule, avide de vengeance et carburant aux préjugés, les condamne d’avance.

Depuis 1994, ils clament leur innocence, et leurs avocats n’ont eu de cesse de lutter pour dévoiler non seulement le manque de preuve, mais aussi la piètre qualité de l’enquête qui a complètement négligé d’autres suspects plus évidents, en particulier deux beaux-pères des victimes. Paradise Lost est avant tout le récit terrifiant d’individus écrasés pendant vingt ans par cette machine faillible et néanmoins inébranlable qu’est le système judiciaire. Bien que les documentaristes penchent clairement pour l’innocence des trois condamnés, l’enjeu principal que soulève le film n’est pas tant leur possible innocence que leur culpabilité plus que discutable. Mais plus encore, le film dénonce la fermeté d’une institution refusant catégoriquement de se remettre en question. Lors d’une requête présentée en cour suprême de l’Arkansas pour obtenir un nouveau procès, le procureur demande aux juges de refuser une telle demande pour ne pas nuire à la crédibilité du système de justice! Une protection malsaine des intérêts de l’institution au détriment de vies humaines qui sera également au cœur d’une conclusion amère très éloignée du triomphalisme ou de l’outrage que génère habituellement ce type de récit.

Au-delà des faits hallucinants présentés, la puissance de Paradise Lost réside dans sa persistante ambiguïté. Non seulement de nombreuses zones d’ombre demeurent sans réponse, mais la démarche même des cinéastes, aussi noble soit-elle, n’est pas dénuée d’ambivalence. Entre le journalisme d’enquête et l’activisme, le film oscille parfois dangereusement, notamment dans sa mise en valeur de certains suspects pour orienter le jugement du spectateur. Une chose reste pourtant certaine, cette plongée au coeœur de l’enfer de la pauvreté et des préjugés ne laisse pas indemne et coupera tout désir éventuel de visiter l’Arkansas dans un avenir proche.

La bande-annonce de Paradise Lost 3


16 août 2012