Critiques

Paul à Québec

François Bouvier

par Eric Fourlanty

Lorsqu’on parle des cinéastes québécois des 30 dernières années, le nom de François Bouvier n’est pas souvent cité. Pas assez flamboyant, pas assez personnel. Et pourtant. Ses deux premiers longs métrages, Jacques et Novembre et Les matins infidèles, coréalisés avec Jean Beaudry, ont marqué le cinéma québécois des années 80. Déjà, les thèmes de la mort et de la création traversaient ces films poignants et empreints d’une touche documentaire en vogue à l’époque. Ensuite, seul derrière la caméra, Bouvier a signé Les pots cassés, vaguement teinté de l’humour noir de Blier, puis Maman Last Call, comédie écrite par Nathalie Petrowski, et plusieurs séries télé populaires (Urgence, Sophie Paquin, 30 vies). Au sein des Productions du lundi matin, il a été producteur pour Marquise Lepage (Marie s’en va-t’en ville), Suzanne Guy (New York doré) et Marcel Simard (Love-moi). C’est en 1999 qu’il réalise le méconnu Histoires d’hiver, superbe chronique sur une bande de gamins des années 60 qui ne vivent que pour le hockey.

À travers ses divers projets se dessine un artisan en prise directe sur le réel, un metteur en scène au service de l’histoire, attentif aux détails, doté d’une touche très sûre, sans effets de manche, et d’un regard sobre mais d’une redoutable efficacité. Paul à Québec est de la même trempe alors que la simplicité apparente de la mise en scène respecte la sobriété et la force du trait de Michel Rabagliati, ici coscénariste avec le cinéaste.

Sous ses dehors de film sympathique, grand public et bon enfant, Paul à Québec est, à l’instar de la bande dessinée dont il est tiré, beaucoup moins simple qu’il n’en a l’air. D’un point de vue strictement anecdotique, Paul n’est pas vraiment le personnage principal de ce film choral et il ne met jamais les pieds à Québec. Le moteur du film, c’est Roland (Gilbert Sicotte), le beau-père de Paul, à qui un cancer du pancréas ne laisse que trois mois à vivre. Toute la famille se resserre donc autour du patriarche, sa femme (Louise Portal), ses trois filles (Julie Le Breton, Brigitte Lafleur et Myriam LeBlanc), leurs conjoints (François Létourneau, Patrice Robitaille et Mathieu Quesnel) et quelques petits-enfants. Hormis quelques scènes à Montréal et un ou deux flashbacks dans le Québec des années 30, l’intrigue se déroule à Saint-Nicolas, sur la rive sud de la capitale.

Paul ne va pas à Québec et pourtant le titre n’est pas trompeur, tant le récit est tout à la fois hyperréaliste et fantasmé. La maison des grands-parents, celle de Paul et de sa famille, celle du grand-père alors qu’il était enfant : elles ont toutes l’air d’images d’Épinal – même le centre de soins palliatifs a des allures de carte postale. Épousant au plus près l’esprit de la bande dessinée dont il est tiré, Paul à Québec a quelque chose de Sempé, version french America, dans l’épure et le détail qui tue. Ah, le doigt du mourant qui bat la mesure sur du Schubert…

La fluidité du montage de Michel Arcand, la lumière en à-plats de Steve Asselin et la musique de Benoit Charest sont au diapason de ce naturel trompeur où l’effort ne se voit pas. Les acteurs ne sont pas en reste. Louise Portal est une actrice qui joue toujours juste, comme on le dirait de quelqu’un qui chante. Toute la troupe est du même acabit, en premier lieu Gilbert Sicotte et François Létourneau, pour qui ce rôle semble avoir été fait sur mesure tant il a la tête de l’emploi – il pourrait aussi jouer Charlie ou Gaston Lagaffe!

La grande réussite du film, c’est d’être parvenu à réduire son propos à l’essentiel : quand la mort avance, il n’y a plus grand-chose à dire. Seuls comptent ces derniers instants, ici magnifiés par une famille aimante. Peut-être un peu trop aimante et soudée, sans aspérités, mais c’est tout à l’honneur du cinéaste de nous captiver avec des gens heureux qui, comme on le sait, n’ont pas d’histoires.

Faire un film sur la mort, c’est en faire un sur la vie. Comme dans Milou en mai, par exemple, Bouvier souligne la lumière du matin, l’odeur du café, la beauté d’une fillette, la douceur de vivre, la chaleur, le silence et le bruit de ces jours qui défilent soudain à une vitesse folle. Ici, pas de contexte politique (Mai 68) comme dans le film de Louis Malle, mais un portrait en pointillé de la classe moyenne québécoise de la fin du XXe siècle.

Paul à Québec est un film unique dans le cinéma québécois. On imagine Jean-Marc Vallée en faire un film plus lyrique ou Podz, en signer une version plus dramatique. Bouvier, lui, en a fait un film juste, une comédie poignante qui vise entre la tête et le cœur.

 

La bande-annonce de Paul à Québec


17 septembre 2015