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Critiques

PEARL

Ti West

par Sylvain Lavallée

Après la nuit noire ensanglantée de X, Ti West nous amène avec Pearl dans les couleurs éclatantes d’un Technicolor ensoleillé. Au premier abord, cette rupture esthétique surprend, tant les deux films n’ont rien en commun sauf la protagoniste éponyme. Mais la filmographie de West est composée uniquement de pastiches : celui d’une émission anthologique d’horreur dans The Roost (2005), d’un slasher des années 1980 dans The House of the Devil (2009), d’une histoire de fantômes classique dans The Innkeepers (2011), d’un reportage documentaire dans The Sacrament (2013) et du cinéma d’exploitation des années 1970 dans X. En ce sens, on pouvait prévoir que Pearl n’allait pas ressembler à son prédécesseur, et que West allait profiter de cet antépisode se situant en 1918 pour tenter un nouvel exercice de style.

À travers son récit d’une femme rêvant d’être star de cinéma pour échapper à sa vie miséreuse à la ferme, auprès d’une mère autoritaire et d’un père lourdement handicapé, Pearl fonctionne sur le mode de la performance : celle d’un cinéaste qui rejoue le style d’un autre temps, reflétant les fantaisies du personnage, et, surtout, celle d’une actrice dans un rôle virtuose. Déjà dans X, Mia Goth livrait une performance remarquable, alors qu’elle jouait à la fois Maxine, la « Final Girl », et Pearl, la tueuse, une femme âgée se vengeant sur de jeunes adultes lorsqu’elle n’arrivait pas à satisfaire son appétit sexuel. Le présent film effectue un retour en arrière sur les mêmes lieux (la grange que nous avons connue décrépite resplendit maintenant d’un rouge pastel), moins dans le but d’expliquer les actions de Pearl que d’en offrir une variante.

Dans le slasher classique, le modèle du tueur est calqué sur le Norman Bates de Psycho : un homme qui a internalisé une figure autoritaire, généralement maternelle, et qui transforme ses pulsions sexuelles réprimées en actes de violence. X s’amusait de ce modèle en féminisant le meurtrier, mais surtout en délaissant le puritanisme intériorisé : Pearl tue parce qu’on lui refuse sa sexualité, parce que son corps âgé ne peut plus répondre à ses désirs, et surtout parce que les jeunes la regardent avec horreur. La répression vient donc de l’extérieur, et puisque Maxine était actrice dans un film pornographique (signifiant de manière douteuse la libération des mœurs, sans que le côté exploitation ne soit remis en question), le film opérait une série de contrastes entre les corps (jeunes/vieux) et la sexualité féminine (libérée/niée), que le double rôle de Goth venait souligner.

Pearl reprend pour l’essentiel les mêmes thèmes : plutôt que d’internaliser la mère despotique, il faut lui échapper, à la fois par une sexualité assumée qui la défie et par un désir de plaire cherchant à compenser le manque d’amour maternel. Le film insiste d’ailleurs à outrance sur la reconnaissance que Pearl cherche en dehors du milieu familial. Elle concentre tous ses espoirs dans une audition pour une troupe de danse afin de se réinventer sur scène, ou plutôt d’y révéler un aspect d’elle que personne ne peut voir. Le film fait du personnage une figure tragique, rejetée et isolée, incapable de sortir du cercle vicieux qui intensifie ses efforts pour séduire à mesure que les échecs s’accumulent, jusqu’à ce qu’ils prennent des proportions monstrueuses. D’où l’importance de la performance, qui régit aussi une mise en scène opposant son vernis propret à la pourriture qui pousse peu à peu, comme ces asticots envahissant un plat de cochon laissé à l’abandon sur le perron. De même, à mesure que la tension s’amplifie entre les apparences à maintenir et la violence de la réalité, la performance de Goth devient rictus et caricature, trouvant son apogée dans un dernier plan soutenu sur une grimace excessive et grotesque.

Ainsi, le projet repose entièrement sur son actrice et sa transformation progressive (Goth a d’ailleurs coécrit le scénario avec West), mais à force de vouloir nous épater avec la virtuosité de sa performance (tous les trucs sont là : rôle réflexif, enchaînement de registres divers, épanchement émotif dans un plan-séquence, monologue, danse…), la simplicité du portrait psychologique devient gênante. En outre, en ce qui concerne la mise en scène, l’exercice de style convainc peu : il suffit de remarquer avec quel soin maniaque West découpe, sur le fond impeccablement blanc d’une église, la robe écarlate de Pearl, pour ainsi la faire rimer avec la porte qui l’attend, peinte de la même couleur, et nous pouvons deviner que nous sommes chez A24 et non dans une production des années 1950. C’était aussi le cas dans : le fini de l’image était trop lisse et sans aspérité, sans le côté granuleux et poisseux du cinéma d’exploitation, mais on sentait au moins un réel respect pour le genre. L’esthétique de Pearl tient plutôt du commentaire ironique, qui répète le cliché d’un rêve américain inatteignable cachant une triste réalité et qui s’amuse à détourner des références évidentes comme The Wizard of Oz.

Cela dit, l’interprétation de Goth demeure impressionnante, et West continue d’exceller à créer une atmosphère anxiogène, un récit avançant lentement vers une finale explosive (quoiqu’ici la violence demeure plus timide). Mais vu les ambitions de Pearl et sa manière de nous vanter son propre panache, la superficialité de l’ensemble déçoit, d’autant plus qu’il y a une riche tradition hollywoodienne d’œuvres sur des femmes rêvant de devenir star, parfois dans des récits aux accents horrifiques (l’interprétation de Goth n’est d’ailleurs pas sans rappeler celle de Bette Davis dans What Ever Happened to Baby Jane ?). Le film parait aussi un brin inutile par rapport à X, puisque nous n’apprenons rien de bien neuf sur le personnage – mais West et Goth sont déjà en train de préparer un troisième film ensemble, MaXXXine, dans lequel la survivante de X se rend à Los Angeles dans le but de devenir une star de la pornographie. Peut-être que le troisième volet de cette trilogie thématique saura donner plus de consistance à l’ensemble.


28 septembre 2022