Piché: entre ciel et terre
Sylvain Archambault
par Pierre Barrette
Le drame biographique (le biopic, comme on l’appelle à Hollywood) est un genre qui exige une maestria scénaristique toute particulière : confronté au désordre inévitable d’une vie, aux événements aléatoires, à l’anecdote, le scénariste doit recomposer l’illusion d’une unité dramatique qui respecte la réalité tout en produisant les bons effets, aux bons moments. Cette opération impose une habile réorganisation de la matière biographique, car la simple chronologie des événements est rarement porteuse en elle-même de sens et d’émotions. Cela implique également que l’on affecte au destin du personnage ainsi biographié une « idée » qui jouera comme le ciment qui fait tenir ensemble les morceaux épars, souvent contradictoires de son existence. On se souviendra en ce sens du scénario du film Maurice Richard de Charles Binamé, qui se terminait en point d’orgue sur l’épisode des émeutes du Forum: un tel parti-pris autorisait d’une part que l’impasse soit faite sur certains événements moins glorieux de la vie du Rocket, mais il permettait surtout au film de souscrire à la thèse qui fait de ce dernier un héros de la cause canadienne-française et un des artisans de la Révolution tranquille.
La vie du pilote Robert Piché, sacré gloire nationale après son célèbre sauvetage du vol 236 d’Air Transat, ne se prêtait manifestement pas aussi aisément à ce genre d’entreprise : connu en outre pour avoir dû composer avec un problème d’alcool (ce qui n’est pas une mince affaire lorsqu’on est pilote de ligne ) et avoir fait de la prison aux États-Unis à la suite de son implication dans une histoire de trafic de drogue, l’homme se laisse difficilement réduire à son fait d’armes, aussi médiatisé et spectaculaire soit-il. D’où le choix opéré par le scénariste Ian Lauzon et le réalisateur Sylvain Archambault (qui reprend à Érik Canuel un projet avorté en chemin fautes de moyens suffisants) de laisser un peu de côté le récit d’aventures la vie de Piché s’y prête pourtant très bien pour focaliser davantage sur les aspects « introspectifs » du personnage. Le « procès d’héroïsation » s’en trouve relancé fidèle en cela à toute une veine du cinéma québécois récent, consacrée à l’édification d’un panthéon local où se trouvent déjà le Frère André, Maurice Richard, Alys Robi, André Mathieu, Dédé Fortin, Lucien Rivard (!) et plusieurs autres sur des bases légèrement décalées, mâtinées de psychologie et portées par un regard qui se veut plus réaliste.
Tout le film est ainsi construit autour de la thérapie en cure fermée que suit le commandant Piché plusieurs mois après son exploit. Cela permet en outre d’opérer une série de retours en arrière dont chacun jette un éclairage particulier sur la personnalité du héros. Le procédé est assez habile, et facilite la présentation « fluide » d’épisodes espacés dans le temps : ses débuts comme pilote, son implication dans le transport de drogue, ses années en prison aux États-Unis. Cette dernière séquence tout particulièrement contribue à établir une fois pour toutes que notre homme a les nerfs solides et est « capable d’en prendre », selon l’expression consacrée (en comparaison de la brute immonde qu’il affronte là, l’atterrissage forcé aux Açores a l’air d’un tour de manège à La Ronde). On n’expliquera pas autrement le sens à donner à la réconciliation finale de Robert Piché avec sa fille, présentée à la toute fin du film tel un épilogue permettant à tous les fils de se nouer. Parfaitement anecdotique du point de vue de la logique du récit, la relation conflictuelle avec sa fille représente dans le présent les stigmates de ses erreurs passées et constitue donc un élément central qui travaille à nous faire comprendre et accepter de façon très artificielle il faut le dire son alcoolisme.
Mais ces aller-retours dans le temps ont une autre fonction plus importante encore dans le processus de construction du héros, car en situant les réminiscences de Piché dans le cadre d’une thérapie, on les affecte d’une qualité décisive qu’elles n’auraient pas autrement : elles deviennent des sortes de confessions, des aveux dédouanant leur auteur qui se refait du même coup une virginité morale essentielle avant que le grand coup final ne soit porté. Les vingt dernières minutes du film l’atterrissage proprement dit prennent dans ce contexte une importante valeur ajoutée ; ce n’est plus seulement la manuvre réussie d’un excellent pilote qui s’y trouve mise en scène, mais plus encore la victoire d’un « homme meurtri » sur son passé, l’ultime triomphe du « héros ordinaire » sur ses démons. La niche que l’on réserve au Commandant Piché dans la lignée des « géants » se trouve de la sorte en pleine résonance avec l’esprit de notre temps : héros « authentique » (entendre près du peuple, tels René Lévesque ou Céline Dion), homme de peu de mots que l’épreuve du confessionnal (comme dans la téléréalité ) a libéré de ses péchés, juste assez imparfait pour nous ressembler, sa victoire est finalement la nôtre, car elle reste avant tout humaine. Peut-être trop humaine
8 juillet 2010