Critiques

Platane, saison 1

Eric Judor

par Helen Faradji

On dit que rien ne voyage plus mal que l’humour. Que trop de styles peuvent donner la nausée. Que l’abus de références nuit gravement aux séries télé. Que les séries n’innovent plus depuis leur âge d’or des années 2000. Ou que quitter un duo comique, c’est la mort professionnelle assurée.

Et pourtant.

Pourtant, Éric Judor, ex-moitié chauve du duo absurde et gentillet Éric & Ramzy, a réussi à faire mentir tous les clichés en scénarisant, réalisant et jouant dans Platane, série de 12 épisodes pour le compte de la chaîne Canal Plus, en passe de devenir le HBO hexagonal (un petit détour par ces sites qui permettent l’accès aux DVD étrangers règlera le problème de l’accessibilité). Platane, donc, comme l’arbre que va percuter la voiture d’Éric, ce qui le plongera dans un coma d’un an dont il se réveillera un homme neuf, mais oublié de tous et notamment de son ancien comparse Ramzy avec qui il tenait l’affiche de H, série humoristico-hospitalière.

Car, à l’instar des Seinfeld et autres Curb Your Enthusiasm, Platane se revendique méta. Mise en abîme de mise en abîme : la formule n’est peut-être pas nouvelle, mais elle continue de prouver son efficacité. Éric, dans son propre rôle, donc, mais également Monica Bellucci et son Vincent Cassel de mari, Clotilde Courau ou Guillaume Canet (qu’Éric estampillera jaloux de l’oscar de sa Cotillard avec un mauvais esprit parfaitement réjouissant), tous tels qu’en eux-mêmes venus prêter main-forte au nouveau projet d’Éric : réaliser La môme 2.0 : next generation, biopic « sérieux » d’une chanteuse de R&B descendante de Piaf (!) et prétexte fictionnel sacrément bien trouvé pour organiser la grande valse des faux-semblants. Entrez, entrez, la visite des coulisses va commencer.

Si le versant américain du sitcom est largement évoqué (on pense aussi aux titres de chaque épisode sur le modèle de Friends, à l’hyper-référentialité de Community, aux fulgurances trash de Shameless, à la sophistication de l’habillage musical de Weeds ou à l’humour affreux, sale et méchant d’un Apatow, personne ne manque à l’appel), c’est aussi du côté british que lorgne allègrement Platane. Plus précisément du côté de leur maître à tous : Ricky Gervais. À la manière de l’idole (et de son ancêtre Larry David), Éric Judor se met en effet en scène dans une approche pseudo-documentaire dont personne n’est dupe pour mieux désamorcer l’ego-trip en se réservant la part du gâteau la moins digeste : puéril, idiot, mauvais comme une teigne, mégalo, maladroit, lâche et obséquieux, son avatar se fait catalyseur d’une critique en bonne et due forme et réjouissante de tout un petit monde médiatico-artistique, tout en symbolisant à lui seul ce que l’industrie du spectacle a bien pu faire des hommes.

C’est peut-être là d’ailleurs la part la plus française, peut-être même la plus personnelle de Platane. Celle qui autorise son créateur à tirer à boulet rouge sur tout ce qui bouge. Le monde du cinéma, bien sûr et son cynisme (Luc Besson, Les Cahiers et le Festival de Cannes, même combat), mais encore l’hypocrisie d’un milieu capable d’encenser n’importe qui et de l’oublier aussi vite une fois le lait de la vache tiré. Ceci sans parler des actrices, de la télé, des journalistes, des handicapés, des jeunes de banlieue, des musiciens… Tous sur le grill. Mais sur le grill d’un humour qui, en réussissant à ne pas faire dans la dentelle et en entretenant le malaise, parvient néanmoins à ne jamais se départir d’une sorte de bienveillance, d’un fond de tendresse, d’une gentillesse sincère grâce à un sens du non-sens, de l’absurde, du gag doux parfaitement maîtrisé. Ricky Gervais, donc, mais la cruauté constante en moins. Plus clown que mercenaire. L’humour potache se mêle aux grincements de dents, les portes qui claquent empêchent le jaune du rire de virer au noir.

Si les deux derniers épisodes, obèses de leur propre ambition, font quelque peu retomber l’exaltation, reste une découverte. Celle d’une série qui parvient à assumer ses références en gardant sa propre personnalité. Celle d’une oeuvre qui en fait trop en gardant toujours le ton juste. Celle d’épisodes venimeux, mais qui ne prennent personne en traître. Celle, en réalité, d’un morceau de télé insouciant et inventif qui ne semble prendre qu’une seule chose réellement au sérieux : son humour.

La bande-annonce de Platane


5 juillet 2012