Polisse
Maïwenn
par Apolline Caron-Ottavi
On préfère largement que les Américains sur-récompensent The Artist aux Oscars plutôt que Polisse au dernier festival de Cannes (prix du jury, dont De Niro était le président). Car Polisse semble une parodie française de série policière américaine, qui en plus d’être insupportable (une réaction épidermique, presque physique, à tant de sensationnalisme), se révèle également être un film bête, c’est-à-dire qui semble tout à fait inconscient de son caractère grossier et irrespectueux, ce à quoi on s’attendait moins au vu de son succès public et parfois critique.
Maïwenn représente dans sa fiction le travail d’une équipe de la Brigade de Protection des Mineurs (BPM) dans le quartier de Belleville, au nord de Paris : pédophilie, exploitation, abus en tous genres sur les enfants sont leur quotidien, entre interventions musclées et longues discussions avec les victimes et les présumés coupables. Parallèlement à ces scènes de travail nous est montrée la vie privée des principaux personnages : coucheries, divorces, conflits familiaux, mal-être (l’une des policières est anorexique, etc.). Le problème ne réside pas dans ce parallèle en soi : une série comme The Wire parvenait à l’établir avec brio et bien plus de sobriété. Mais Polisse n’est pas une série, et le film condense en deux heures (qui semblent bien longues) d’innombrables histoires intimes racoleuses en les amalgamant aux drames des enfants abusés, ainsi qu’à des drames plus collectifs (la situation des immigrés, des gitans, etc.). Si bien qu’on ne sait plus si le sujet du film est vraiment la BPM, ou une tentative floue et dispersée de dépeindre le malaise général de la France actuelle.
Dès les premières scènes, les dialogues sonnent faux, le jeu est surfait : une brochette sans fin d’acteurs français connus (Karine Viard, Marina Foïs, Joey Starr, Nicolas Duvauchelle, Audrey Lamy, Louis-Do de Lencquesaing ) jouent au policier et au pédophile, cabotinent chacun à leur tour, et les clichés s’enchaînent (le débat sur Sarko à la pause déjeuner, le flic qui s’exprime trop bien pour les autres : on reste toujours au premier degré de la conversation de comptoir). On n’y croit pas une seconde alors que justement Maïwenn semble imiter une semi-posture documentaire, en alternant séquences de parole dans les bureaux et séquences d’interventions « prises sur le vif ». Ce traitement mensonger est déjà gênant en lui-même, mais devient d’autant plus choquant du fait que les images censées représenter une réalité sociale difficile sont confrontées de façon systématique à des histoires de culs et de couples dignes du plus mauvais cinéma français, inoffensif et dépolitisé (l’éternel « engueulades et embrassades dans un trois-pièces cuisine parisien »).
Il n’y a de ce fait aucune profondeur et complexité dans la façon dont Maïwenn montre le travail de la BPM : les histoires et les séquences se suivent sans un instant de répit, il faut que ça bouge à l’écran, que ça crie sans cesse, les exposés des cas de victimes ne s’éternisent jamais pour ne pas ennuyer le spectateur (alors qu’on imagine bien que dans la réalité, démêler la vérité, dans certains cas, doit prendre des mois), et les interventions ressemblent à un fantasme des coups d’action du FBI De temps en temps il faut « une lueur d’espoir » (la compensation nécessaire du film « coup de poing »). C’est cela certainement qu’est censée apporter cette scène où les enfants roumains qui viennent de se faire enlever à leurs parents se mettent à chanter et danser joyeusement dans le bus qui les emmène, avec les deux policières en mamans substitutives : on croit rêver. On atteint le summum du grotesque dans la façon dont Maïwenn s’octroie le rôle d’une photographe venue documenter le quotidien des agents de la BPM, et quand arrive le dialogue édifiant où Joey Starr l’accuse de misérabilisme et de ne photographier que les enfants qui pleurent durant les interventions. De quoi la cinéaste essaye-t-elle de se protéger par une telle mise en abyme ? Essaye-t-elle de se déculpabiliser ou de prévenir les reproches que pourraient lui faire les critiques ? Ça n’y change rien, car c’est effectivement ce qu’elle ne cesse de faire, tenter de tirer des larmes au spectateur en filmant sans aucune retenue, et avec force gros plan, les jolis yeux verts embués d’un petit garçon roumain ou les hurlements d’un pauvre petit enfant noir séparé de sa maman
Si vous allez voir Polisse, sachez que rien ne vous sera épargné : du gros plan sur un mort-né en plastique aux crises d’hystérie interminables entre bonnes femmes, des rires gras entre collègues devant un McDo aux répliques les plus vulgaires (« on se fait un viol aujourd’hui ? »), de la musique sirupeuse pour souligner les moments d’émotion aux situations caricaturales pour décrire l’immigration (le policier qui ne comprend pas ce que raconte une immigrée africaine, la crise de nerfs de la femme flic « arabe, mais féministe » face à un musulman barbu et arriéré qui bat ses filles, et on en passe ). Maïwenn tombe dans tous les panneaux qu’un sujet délicat peut soulever, et nous donne un film manipulateur, simpliste, et de surcroit très narcissique, sur un sujet pourtant grave et complexe. Polisse rappelle une fois de plus qu’un sujet passionnant ne fait rien d’un film, et que seul son traitement cinématographique décide du camp du cinéaste. Cerise sur le gâteau, la séquence finale, un montage parallèle entre le saut périlleux d’un petit garçon qui se reconstruit comme par miracle après avoir été abusé par son professeur de gymnastique et le saut dans le vide de la policière qui l’a aidé le tout au ralenti s’il vous plaît finit de ne nous laisser aucun doute et aucun soupçon d’indulgence quant à la nature d’un tel film : obscène.
1 mars 2012