Je m'abonne
Critiques

Pour toujours, les Canadiens

Sylvain Archambault

par Marcel Jean

Pour toujours les Canadiens n’est pas encore sorti que déjà la polémique est engagée, le réalisateur Sylvain Archambault se métamorphosant en petit père du peuple pour fustiger les vilains intellectuels de La Presse qui ont osé lever le nez sur son oeuvre. Tout cela a été fait pour le peuple, dit-il en substance et avec condescendance, le peuple est d’ailleurs venu en masse à la grande messe d’il y a trois semaines et il va continuer de venir s’abreuver à la source des produits dérivés dont ce film n’est qu’une autre déjection.

Comme l’idéologie est plus forte que la réalité, Pour toujours les Canadiens prend la piteuse édition 2008-2009 du club de hockey et la traîne péniblement à 20 minutes de la coupe Stanley, dans un sixième match de série finale arrangée avec le gars des vues. Tout cela ressemble au grand fantasme des administrateurs de l’équipe. On s’attendrait même à ce que la dernière image du film montre Bob Gainey se réveillant : « Oh shit! Ce n’était qu’un rêve! » Mais non, ce fantasme, c’est celui des fans qui se réveillent avec la gueule de bois après un match : « Oh shit! Toronto 3, Canadiens 0. Vite, allons au cinéma! » On se dit qu’il y a alors quelque chose de pathétique à faire de la mythologie par-dessus de la mythologie. Dans le Maurice Richard de Binamé et Scott, on nous montrait que les Canadiens français, peu habitués à gagner dans la réalité, parvenaient à gagner au hockey et ainsi à purger leur frustration. C’était la définition même du mythe : une solution fictive à un problème réel. Maurice Richard (et les Canadiens) étaient donc des mythes. Dans Pour toujours les Canadiens, on passe au niveau suivant : comme le système mythique des Canadiens ne fonctionne plus (l’équipe est médiocre depuis trop longtemps et engendre davantage d’amertume que de fierté), on a recours à un deuxième système, le cinéma. Ça, c’est la méthode appliquée par Réjean Tremblay à la télévision avec Lance et compte depuis 25 ans. Il faisait alors gagner les Nordiques, rebaptisés National. Tout cela était alors fait, il faut le dire, avec une candeur et une énergie totalement absentes du film de Sylvain Archambault. Incidemment, Tremblay, l’orgueil de Saint-David-de-Falardeau, vient d’obtenir du financement pour porter sa plus célèbre télésérie au grand écran. Qui s’en étonnera?

Il est question, dans Pour toujours les Canadiens, des gloires de l’ancien temps : Vézina, Richard, Geoffrion, Béliveau surtout. Guy Lafleur, encore vivant et disponible mais à l’image moins lisse, n’est pratiquement pas là. Doug Harvey est là, mais personne ne se souvient de ses frasques. Tant mieux pour lui! Tant mieux pour Lafleur aussi, ça laisse le terrain libre pour un éventuel long métrage où il y aura beaucoup d’action : accident de char, hockey avec pas d’casque, aventure extraconjugale, chicanes, passage dans le camp ennemi, réconciliation, problèmes judiciaires du fiston malade… Quatre millions de box office minimum! Y’a sûrement une fille de Star académie qui pourrait faire la chanteuse-maîtresse. On cherche déjà un acteur à l’air hypocrite et atteint de calvitie précoce pour jouer Jacques Lemaire. En tout cas, Patrick Huard ferait un maudit bon Scotty Bowman!

Mais revenons au passé glorieux, évoqué par un personnage de réalisateur sous doué qui met des mois à réaliser une « musicographie » sur le centenaire des Canadiens, puis par des cartes de hockey qui virevoltent dans l’hôpital Sainte-Justine autour des enfants avides de reins fonctionnels. 24 coupes Stanley, ce n’est tout de même pas rien! Va pour le passé, donc. Le problème, c’est que les Canadiens n’ont pas de présent : Koivu, Bouillon, Higgins, Komisarek, Dandenault, Kovalev, Latendresse, Kostopoulos, Lang… N’est-ce pas le passé, ça aussi? Voici donc la réalité qui rattrape la fiction : le présent des Canadiens ne fait tellement pas le poids qu’il s’est envolé depuis le tournage du film. Misère!

Quant au reste, comment être ému par un enfant en détresse si c’est clair dès le début qu’il va s’en sortir? C’est pourtant pas bien compliqué et les leveurs de fonds de Vision mondiale nous en font la démonstration à chaque semaine. Dans Pour toujours les Canadiens, Michèle, l’infirmière jouée par Céline Bonnier, le dit d’entrée de jeu : « On va vous le guérir! » Dans la scène suivante, le médecin interprété par Denis Bernard la réprimande : « Dites plus jamais ça! » Il se trompe de cible : c’est le scénariste, Jacques Savoie, qu’il aurait fallu engueuler. Une petite question en l’air, comme ça : est-ce que quelqu’un, quelque part, pendant la production, a relu ses dialogues? Parce que vu de la salle, Bonnier, Bernard, mais aussi Jean Lapointe, Christian Bégin et Sandrine Bisson s’en vont à la guerre avec des tire-pois. Claude Legault a de la chance, son personnage de coach ne dit presque rien. On se rappellera que Marc Robitaille et Georges-Hébert Germain, les deux premiers scénaristes embauchés par la production, on été virés en cours de processus. On imagine mal qu’ils aient pu faire pire.

 


2 Décembre 2009