Prank
Vincent Biron
par Apolline Caron-Ottavi
Stefie, avec son appareil dentaire proéminent et son allure pataude, a enfin trouvé des copains : Martin, Jean-Sé et Léa l’entraînent dans un tourbillon d’énergie et d’irrévérence. L’expérience est nouvelle et grisante pour le garçon solitaire ; en découlent les joies et inévitables frustrations qui accompagnent l’acte de grandir… Le cadre du premier long métrage de Vincent Biron est minimal : quatre adolescents en vadrouille dans une banlieue anonyme, entre une cour d’école déserte et une rivière, un parking de supermarché et un pont d’autoroute. Ils multiplient les blagues, les mauvais coups, les rigolades, leur téléphone cellulaire toujours à la main, enregistrant tout pour la postérité.
Prank rejoint la longue lignée des comédies sur l’adolescence. Le cinéaste connaît assurément ses classiques parmi les coming of age américains, mais Prank n’est pas pour autant leur imitation en version québécoise. Tout en renouant avec les grandes lignes du genre (bêtises à volonté, désir de liberté, révolte à vide et tristesse qui hante l’âge ingrat), le film trouve son ton et sa réflexion propres, nous entraînant dans une balade endiablée et décousue, filmée sur le vif, sans prétention et avec beaucoup d’humour.
La force de Prank est de savoir saisir avec une acuité dénuée de nostalgie un état d’esprit, celui d’un âge à la fois sans contraintes et plein d’obstacles, entre l’ennui et l’impossibilité de tenir en place, l’amitié et les coups pendables. Un âge où l’on est amoureux, déjanté et curieux comme jamais, avec pourtant des expressions de veau la bouche ouverte. Une conquête de liberté complexe, par des individus encore infantiles mais déjà autodidactes. Le personnage de Jean-Sé, avec ses descriptions exaltées de Predator ou de Die Hard en est un bel exemple : à l’écran, la musique qui surgit sur ses récits, accompagnés de gros plans des toiles qu’il peint après coup à la manière de storyboards tirés de ses souvenirs des films, sont là pour nous rappeler l’enthousiasme suscité par les premières découvertes cinéphiles à soi, excitation à jamais inégalée par la suite. Ces parenthèses éclatées sont, par leur facture contrastée, à l’image de l’échappatoire qu’offre le cinéma (ou autre) face à un quotidien qui n’est au fond pas si punk que ça.
Prank avance au gré des conneries réalisées, bousculant les séquences les unes après les autres et faisant fi de toute construction narrative. Il n’y a pas là de coups d’éclat ou de finalité dramatique. En revanche, tout en acceptant de se vautrer avec jovialité dans l’idiotie du moment avec ses personnages, Biron n’en réalise pas moins un film qui aborde avec intelligence la douleur qui peut habiter ce que la doxa appelle les « meilleures années de notre vie ». Stefie est le petit-cousin des adolescents mal dans leur peau de Pump Up the Volume, de Breakfast Club ou plus récemment des Beaux gosses de Riad Satouf. Prank, sans jamais basculer dans la tragédie, n’en minimise pas moins la pression que Stefie le souffre-douleur endure, dindon d’une farce dans laquelle il veut pourtant à tout prix conserver un rôle… Le film, qui ne va pas forcément là où on peut l’attendre, se tient habilement sur une fine ligne : ni comédie expiatoire où tout serait tourné en dérision, ni chronique accablante d’un mal-être générationnel. Tout en faisant le pari de ne pas résumer ses personnages à une simple vignette, Prank s’en tient à l’instant présent, débarrassé des analyses psychologiques, et c’est tant mieux.
Mais le film ne se contente pas de chroniquer les frasques du groupe comme si ses membres étaient dans une bulle autonome (en cela il se démarque d’un Dazed and Confused). La présence des adultes est soulignée avec intelligence par l’évocation d’individus rébarbatifs qu’on ne voit pas vraiment et dont on se moque quand on a 16 ans, sans imaginer leurs drames, leurs vies de famille trébuchantes et leurs boulots routiniers. Ils apparaissent de façon touchante dans le film, victimes collatérales et anonymes des facéties des gamins. Nous spectateurs voyons le « hors-champ » que sont leurs vies intimes et qu’ignorent les adolescents qui les narguent.
Lorsque la conversation des quatre amis, affalés devant le DVD malencontreusement choisi dans un vidéoclub du Cheval de Turin de Belà Tarr, dérive du visage de l’actrice aux gros seins d’une camarade d’école, pour s’achever sur une méditation loufoque quant aux conséquences des actes de chacun dans la vie, c’est bien là que se joue l’adolescence : mélange de sérieux et de grotesque, de prise de conscience et d’inconscience totale, de légèreté et de drame. L’âge viendra bientôt où ils seront à leur tour de « l’autre côté », alors autant en profiter !
La bande annonce de Prank
27 octobre 2016