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Critiques

Pride

Matthew Warchus

par Céline Gobert

Observer les luttes sociales, la pauvreté, et le climat morose du Royaume-Uni à travers les lunettes rose bonbon du feel good movie est une recette britannique gagnante depuis Les Virtuoses de Mark Herman, Billy Elliott de Stephen Daldry et The Full Monty de Peter Cattaneo. Géante ode à la solidarité, Pride, présenté à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes cette année et lauréat de la Queer Palm, marche fièrement dans le sillage optimiste et rassembleur de ses prédécesseurs, narrant l’improbable (mais vrai) front commun qu’ont fait, en 1985, des activistes LGBT et des mineurs face à l’oppression de l’ennemi conservateur Thatcher. Jusque dans sa forme, cet énergique et rassembleur appel à l’entraide célèbre le collectif  : le réalisateur Matthew Warchus refuse de se concentrer sur un seul protagoniste, brasse un bon portrait de groupe, et vise à rassembler les spectateurs tour à tour dans le rire et dans l’émotion. Bonne idée puisque avec un tel pied-de-nez fait aux valeurs individualistes et matérialistes prônées par la Dame de fer, il prolonge formellement à l’écran l’anti Thatchérisme et l’anti libéralisme de l’époque. En outre, lors de la Marche de la Fierté londonienne finale, on demande pour la première fois aux manifestants homosexuels d’abandonner leurs banderoles affichant des slogans politiques. Cette scène (qui introduit l’idée de la fin d’une politisation du mouvement gay) fait naître d’intéressantes pistes de réflexions sur la militance gay et/ou socio-politique contemporaine : les gay pride actuelles sont-elles encore, trente ans plus tard, des actions politiques contre les pouvoirs en place ? Le désir de normativité sociale vers lequel tend une partie de la communauté homosexuelle contredit-elle l’essence du militantisme ?

Les bonnes intentions de ces prémisses politico-sympathiques, reposant sur un comique simpliste mais efficace (il met des clichés dans la bouche des uns et des autres pour mieux en dénoncer l’absurdité), se retrouvent très vite écrabouillées par le rouleau compresseur « bonne humeur » conduit avec ferveur par Warchus qui, pour arriver à ses fins, se vautre dans un climat de guimauve mainstream, et abuse de la séquence de bravoure et de la musique grandiloquente comme ressorts dramatiques. Le résultat apparaît alors comme la rencontre bizarre entre le sérieux de My Beautiful Laundrette de Stephen Frears (même thématique homosexuelle et même contexte politique) et le positivisme gluant du Love Actually de Richard Curtis. Exemple : au milieu d’une réunion entre mineurs en grève et le groupe de soutien LGSM (pour Lesbians and Gays Support the Minors), une jeune galloise se met à entonner a cappella Bread and Roses – chanson inspirée d’un discours de Rose Schneiderman, figure féminine du socialisme – avant d’être suivie par toute l’assemblée à grand renfort de musique ampoulée et lyrique. La scène n’avait pas besoin d’être outrancièrement soulignée, et ainsi éviscérée de sa force réaliste. Pride, décidé à garder son entrain coûte que coûte et à éviter tout ce qui fâche, commettra de cette façon la même faute de goût tout le long du film : faire appel à des ficelles hollywoodiennes classiques et lassantes. Même la terreur accompagnant l’arrivée du SIDA, qui a frappé la communauté homosexuelle dans les années 80, n’est que maigrement évoquée. Contentons-nous alors des vignettes-sourires qui viennent ponctuer l’ensemble; des flashs de collaboration et de libération dont le film tire une énergie folle, un fun et une fougue qui animaient déjà les chômeurs de The Full Monty ou la fanfare des Virtuoses. De l’or pour faire vibrer les salles.

 

La bande-annonce de Pride


25 septembre 2014