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Critiques

Public Enemies

Michael Mann

par Juliette Ruer

1933, la grande dépression, Roosevelt en a plein les bras. Des centaines de banques sont en faillite, la pauvreté est installée. En plus de l’essentiel, la population a besoin d’air et de héros. Busby Berkeley fait merveille et on confond facilement criminels et justiciers. Car du temps de leur courte gloire, les rejetons d’Al Capone –  Clyde Barrow, Bonnie Parker, John Dillinger et leurs troupes respectives – ont été des ennemis aimés du public; des criminels parfois doublés de psychopathes, mais pour la populace, ils étaient surtout des voleurs de banque. Et ça, c’était plutôt bien vu.

2009, autre récession, Obama en a plein les doigts. Et question voleurs, on a Bernard Madoff et son orchestre; pas de quoi sortir Robin des bois. Ça tombe bien, le cinéma est encore là pour faire déviation, et revisiter les mythes. Voilà donc Public Enemies, de Michael Mann, avec Johnny Depp dans le rôle de John Dillinger, Marion Cotillard en belle de truand, Christian Bale en fer de lance du FBI naissant et Billy Crudup en Edgard Hoover déjà morveux. Au programme : des mitraillettes Thomson, des grosses cylindrées, des belles pépées à col de fourrure, des évasions de prison et des vols de banque… Chocolats glacés ! Eskimos ! De la nostalgie classique que tout cela ? Non, la nostalgie n’est plus ce qu’elle était. Elle a changé de look.

Avec les mythes, on connait toujours l’histoire. Pour y trouver un quelconque intérêt,  on ne peut que s’en remettre au conteur, et  Michael Man est un conteur musclé et un réalisateur de thrillers efficaces (The Insider, Ali, Collateral et Heat). Il a pointé sa caméra DV sur une icône et nous a nettoyé l’objectif. Le résultat est étonnant : dans le rendu artistique, on se situe à mi-chemin entre les photos réalistes de Dorothea Lange et de Weegee et le vernis Giorgio Armani des Incorruptibles; ce n’est ni complètement sale, ni vraiment chic. Le flou caractéristique du digital qui a tendance a faire oublier les couleurs et les nuances, décuplé sur grand écran et couplé à des cadrages reportage, donne une perspective qui, sans être hyper réaliste, n’en est pas moins naturelle. On dirait un film d’action pris sur cellulaire. Filmé pour soi, de sa poche, comme si on avait été les témoins des événements et qu’on allait tout balancer sur Twitter dans la seconde. Or cela reste un film d’action hollywoodien, monté avec beaucoup de monde et beaucoup de moyens, et qui bénéficie d’une formidable mise en scène et d’une direction artistique complexe. Mais sa forme n’a plus rien d’imposant; elle nous est soudainement très proche. On se trouve donc plus facilement complice, truand coincé dans une voiture en fuite, quidam curieux dans la foule sous les crépitements des flashs, voyeur dans la chambre à coucher. On sursaute chaque fois que Dillinger entre dans une banque. On croit aux flics qui sont sur les dents, à la folie criminelle des tueurs, et à la tension des spectateurs assis dans une salle de cinéma, regardant les actualités où on leur dit de bien vérifier si Dillinger n’est pas assis à côté d’eux… On croit à la férocité politique de Billy Crudup et au caractère de machine à tuer de Christian Bale (qui ramène son masque de prédateur d’American Psycho). La môme Cotillard est aussi un bon choix. Elle a surtout le visage de l’époque, celui des photos retouchées où toutes les jolies filles semblaient avoir des petites dents de porcelaine.  Johnny Depp fait son possible pour avoir le regard opaque du truand sans états d’âme, mais il reste le moins tendu de tous. Un choix crédible, si l’on se fie à la célèbre photo de Dillinger où il affiche un air très goguenard. Mais avec Johnny Depp, on est toujours à un haussement de sourcil de la gueule d’ange ou du clown. Trop près de Peter Pan.

Enfin, ce rendu à l’image s’accorde bien à l’instantanéité du propos. Mann ne s’est pas attardé à la psychologie, au passé, au pourquoi de la situation. Il a pris ce qu’on sait de la légende, et les deux dernières années de John Dillinger sont connues comme le chemin de croix. On sait l’heure de la fin, le nombre de balles, leurs calibres. Les faits ont été travaillés à plat, au présent, collés chronologiquement, sans justificatif. Peu de temps mort, pas de réflexion, juste des blocs d’aventure aussi denses les uns que les autres. Et le naturel web se colle parfaitement  à cette spontanéité orchestrée.


3 juillet 2009