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Critiques

Rapt

Lucas Belvaux

par Helen Faradji

En 1978, Édouard-Jean Empain, richissime homme d’affaires belge à la tête du groupe Empain-Schneider est kidnappé pendant 63 jours. Il sera libéré, un auriculaire en moins et un traumatisme en plus. Pour Lucas Belvaux (Un couple épatant / Cavale / Après la vie), l’homme s’appellera plutôt Stanislas Graff et sera enlevé en 2009. Pour le reste, tout sera pareil : de 1978 à aujourd’hui, la cupidité a toujours le même visage barbare. Et en filigrane, cette identique et odieuse question : trouverions-nous tout cela plus légitime si l’enlèvement était motivé par des revendications politiques (une interrogation qu’affrontait intelligemment Octobre de Falardeau)?

C’est en effet un des plus solides atouts de ce sombre cauchemar qu’est Rapt : sa volonté affirmée très clairement de faire, à travers l’histoire malheureuse de cet homme, le portrait de notre monde de brutes. Le constat est dur, frontal : des journalistes fouillant la vie du kidnappé pour y déterrer de croustillants scandales (ils seront servis) aux ravisseurs dont chaque mot, chaque geste semble pensé pour priver leur prisonnier de toute dignité; du juge accusant Graff libéré d’avoir lui-même organisé son rapt à sa fille incapable de le regarder dans les yeux; tout souligne une vision ultra-pessimiste de l’univers dans lequel nous vivons, une peinture en noir corbeau des relations personnelles et sociales. Hitchcock le pervers aimait à faire croire que l’innocent devait souffrir. Belvaux le désespéré ne croit même plus à l’idée d’innocence. Rien à sauver dans la nature humaine. Rien à sauver non plus dans la société qui ne sert qu’à révéler cette nature bestiale.

Jusqu’ici, tout va bien, comme disait l’autre. D’autant que le film se densifie encore par les présences sans faille d’Yvan Attal dont la passivité durant la captivité (ou est-ce du sang-froid?) et le physique sec et coupant, aminci de 20 kilos, fait ressentir physiquement la douleur, la peur, le sentiment d’étouffement, d’Anne Consigny d’une vérité et d’une puissance absolue en épouse bafouée prête à tout accepter parce qu’elle est la femme derrière le « grand » homme ou de Françoise Fabian impériale en mère pragmatique et froide comme la glace.

Mais rapidement, Belvaux laisse échapper son film. D’abord, en refermant la porte sur les questionnements fondamentaux qu’il soulève pour se concentrer sur l’enquête policière et ramener au premier plan toute la banalité d’un fait-divers somme toute sans grande incidence. Ensuite, en limitant sa mise en scène à une observation conventionnelle et sans réelle finesse des événements. Musique didactique, lumière sans relief gommant les contours et les arêtes, cadrages sans vie plaçant les personnages au cœur des images comme des pions sur un échiquier, stylisation ne trouvant jamais réellement son équilibre entre naturalisme et effets de polar, montage sans imagination : rien qui ne transcende, rien qui n’élève. Plombé, comme alourdi par ses ambitions thématiques auxquelles il ne parvient jamais à se frotter avec profondeur, Rapt reste sur le plancher des vaches, là où on attendait de le voir plonger avec courage dans les tréfonds des âmes humaines ou s’envoler avec force au-dessus du banal, du quotidien. Dommage, le très grand film était à portée d’oeilleton.

 


17 juin 2010