Critiques

Respire

Mélanie Laurent

par Helen Faradji

La réaction est bêtement instinctive. Une actrice qui passe à la réalisation… Et pas n’importe quelle actrice, Mélanie Laurent, celle dont internet a (probablement à raison) fait sa tête de turc préférée, compilant ses entrevues en un montage désastreux où son ego éclaboussait toute tentative de la prendre au sérieux.

Et pourtant. Faudrait-il être simpliste pour se passer du plaisir bien réel, pervers et hypnotique, que son second long-métrage, après Les adoptés, est en mesure de susciter…

Présenté à la Semaine de la critique 2014, Respire ne ressemble en effet en rien aux atermoiements narcissiques d’une réalisatrice en mal d’attention. Bien au contraire. Tendu, tenu de bout en bout, il est plutôt l’autopsie, rigoureuse et délicate à la fois, d’une amitié adolescente qui tourne mal, sans que rien ne puisse l’empêcher, révélant un regard de cinéaste intègre et porté, on le sent, par un désir de cinéma supplantant sans compétition toute tentation d’insensibilité.

Le cadre – celui de la chronique adolescente, adapté d’un roman d’Anne-Sophie Brasme – pouvait pourtant laisser craindre le pire. Des facilités, des recours aux clichés… Certes, on ne pourra nier que les premières minutes de Respire raccrochent inévitablement à un naturalisme devenu presque figé tant il a pu être porté à son point d’incandescence maximum par le Entre les murs de Cantet ou L’esquive de Kechiche. Mais rapidement, la sensation s’évanouit, Laurent construisant par une mise en scène puissante d’une sobriété remarquable, portée par un montage d’une belle pudeur et une absence appréciée d’effets de style incongrus, une atmosphère de thriller anxiogène mâtinée d’une sensualité que l’on n’avait pas vue dans le cinéma français depuis La naissance des pieuvres de Céline Sciamma. Danger et désir deviennent alors les deux pôles d’attraction et de répulsion entre lesquels naviguent Charlie 17 ans, jeune fille douce et timide, tombant sous le charme de la nouvelle venue, Sarah, si rock, si libre, si belle.

Pourtant, si la violence et le vice traversent le récit de Respire de part en part, Laurent a la belle idée de savoir les traiter en sourdine, comme deux forces grondantes mais jamais visibles, faisant sans cesse affleurer à l’image une tension impalpable mais bien réelle. Sarah manipule Charlie, Charlie se débat, et le cercle se referme, chacune jouant tour à tour les rôles de la victime et du bourreau. Sans jamais avoir besoin d’être théorisées ou explicitées, la cruauté, l’insouciance, la complicité et la fragilité inhérentes à l’adolescence, particulièrement féminine, s’incarnent avec force dans ces deux personnages aussi bien écrits que regardés. De la douceur dans l’œil, la proximité incessante refusant tout jugement moral pour mieux observer la dureté des comportements… La logique fonctionne. Car la distance, bien difficile à trouver entre empathie et indispensable recul, est la bonne.

Si elle l’est, c’est aussi que, se refusant à être le film d’une actrice, Respire est bel et bien un film d’actrices. Celles choisies par Laurent, Joséphine Jappy et Lou de Laage, dont elle capte les états d’âme avec patience et maîtrise, chacune des deux jeunes comédiennes interprétant sa partition à la perfection, chargeant les regards de sous-entendus, les moues boudeuses de non-dits, les postures de mystère. Grâce à elles, grâce à la retenue avec laquelle Laurent sait les laisser s’exprimer, Respire peut alors construire son crescendo dramatique sans artifice, jusqu’au final, forcément tragique, forcément émouvant.

 

La bande-annonce de Respire


14 mai 2015