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Critiques

RESSOURCES

Hubert Caron-Guay et Serge-Olivier Rondeau

par Robert Daudelin

Découvert à l’occasion des RIDM de novembre 2021, Ressources sort enfin en salles. Ironiquement, ce retard regrettable donne au film une pertinence supplémentaire au vu des soubresauts que connaît présentement la société Olymel, lieu central de son récit.

Hubert Caron-Guay nous était connu pour son travail au sein du groupe Épopée et pour Destierros (2017), le long métrage documentaire qu’il avait consacré aux migrants d’Amérique latine qui tentent d’arriver aux États-Unis. Avec Ressources, il fait équipe avec le sociologue-cinéaste Serge-Olivier Rondeau pour nous initier au périple d’émigrés mexicains désireux de s’installer au Québec et d’y gagner leur vie. Bien qu’omniprésents dans le film, les travailleurs mexicains n’en sont pas les seuls protagonistes; sont aussi présents à leur côté un couple de jeunes fermiers, une vache enceinte gestante, un élevage de cochons, deux chiens de ferme et quelques champs de maïs. Tous sont importants, tous sont filmés avec la même approche respectueuse qui donne à Ressources un ton – faudrait-il dire une aura? – si particulier qui appartient plus à l’essai poétique qu’au documentaire social.

Si le film nous permet de nous familiariser avec les procédures québécoises d’accueil et d’apprendre qu’Olymel a un service du personnel de langue espagnole, il évite délibérément toute démarche démonstrative, privilégiant l’écoute et la complicité. Ainsi avons-nous le temps de faire connaissance avec ceux et celles qui constituent l’univers du film, avec leurs rêves comme leurs appréhensions, sans que les cinéastes aient besoin de dénoncer la compagnie exploiteuse ou les lenteurs de la bureaucratie – à nous de meubler ces zones, d’en mesurer les contradictions et les injustices.

Selon Le Petit Robert, le terme « ressources » désigne les « moyens matériels (hommes, réserves d’énergie) dont dispose ou peut disposer une collectivité ». C’est ce vaste champ qu’explore avec une liberté admirable le film de Caron-Guay et Rondeau. Si la caméra de ce denier est toujours très présente, au point de devenir un véritable interlocuteur, elle n’en est pas moins d’une parfaite discrétion, gardant ses distances, ne bousculant jamais personne, se refusant à toute position qui pourrait tenir lieu de jugement. La beauté des images (le pelage « animal préhistorique » de la vache, la ligne d’horizon abstraite, et tant d’autres moments) et le rythme parfaitement accordé de leur montage autorisent notre imaginaire à s’emparer du film, à l’ouvrir à plusieurs lectures, l’enrichissant sans arrêt d’autant de points de vue.

Œuvre ouverte s’il en fut, Ressources est exemplaire de ce que permet une approche créatrice du documentaire. Nul besoin de discours de spécialistes ou d’informations chiffrées, le regard des cinéastes devient outil de connaissance – et d’émotion. Héritiers du cinéma direct dans leur approche des personnages et de leur environnement, les réalisateurs sont attentifs à tout ce qui détermine la vie de ces futurs citoyens du Québec : bien répondre au questionnaire médical, payer son loyer en attendant le droit de travailler, choisir entre Montréal ou la vie en région, travailler de jour ou de nuit…

Dans Ressources, c’est le travail qui définit la personne. Le mot est décliné sous toutes ses formes et le « je veux travailler » revient sans cesse dans la bouche des femmes, comme des hommes, qui ont souvent abandonné au Mexique ou au Salvador un conjoint ou une conjointe, souvent des enfants, pour trouver une vie meilleure dans un pays de neige où le maïs blanc est rare.

Mais le travail, c’est aussi celui des animaux : les vaches soumises à la traite mécanique fournissent le lait alors que les cochons attendent d’être expédiés chez Olymel pour devenir bacon et saucisses. Les uns et les autres sont très logiquement intégrés au discours du film et dotés d’une personnalité troublante. Cette cohabitation, à l’évidence voulue par les cinéastes, devient subrepticement l’un des axes de réflexion du film, une façon d’élargir le propos, de reconstituer l’équilibre fragile humains/animaux/nature.

« À chacun de choisir ce qu’il veut », rappelle sentencieusement le représentant du personnel d’Olymel, comme si la liberté de choix était chose naturelle. Pour ces hommes et ces femmes, prêts à l’exil dans l’espoir d’une vie meilleure et d’un bel héritage pour leurs enfants, Ressources veut dire « Bienvenue! », sans pathos, mais avec une réelle empathie qui habite chaque image de ce film exceptionnel.


31 janvier 2023