Rogue One : A Star Wars Story
Gareth Edwards
par Bruno Dequen
L’empire Disney nous avait prévenus. En achetant Lucasfilm Ltd, il mettait la main sur un univers qu’il allait déployer à un rythme soutenu pour des années à venir. Si les fans de la saga ont dû attendre 16 ans entre les deux trilogies de George Lucas, 12 petits mois à peine séparent The Force Awakens de Rogue One. Au-delà d’un simple constat de productivité accrue, la sortie de ce dernier volet représente surtout l’application par le géant hollywoodien – qui vient tout juste de devenir le premier studio à dépasser les 7 milliards de dollars au box office en une année – de la recette marketing testée avec succès sur leur univers Marvel : autour d’une saga principale, produire d’innombrables récits parallèles qui se déroulent dans le même univers mais qui visent ouvertement un public plus adulte. En somme, Rogue One est à Star Wars ce que les Defenders – qui ont leurs propres séries sur Netflix – sont aux Avengers. Le pari est-il réussi ? Financièrement, sans aucun doute. Artistiquement, rien n’est moins sûr.
Souffrant d’une crise d’identité manifeste, Rogue One est probablement le chapitre le plus frustrant de la célèbre franchise intergalactique. Loin d’être un désastre absolu, ce prélude aux aventures d’Han Solo et de la famille Skywalker est un récit plutôt enlevé qui regorge de bonnes idées mal exploitées et/ou non assumées par la multinationale du divertissement familial. En confiant les rênes du film à Gareth Edwards, réalisateur de Monsters et Godzilla, Disney lançait pourtant un message clair aux spectateurs avant même le premier jour de tournage : débarrassé du lourd mandat qui pesait sur The Force Awakens, Rogue One allait explorer des zones plus « sombres ». Décrit par le réalisateur lui-même comme « un film de guerre », Rogue One promettait d’être en quelque sorte le Douze salopards de la franchise, puisqu’il relate la mission suicide qui a permis à l’Alliance d’obtenir les plans de la célèbre Étoile noire qui sera détruite par Luke dans l’épisode IV. Disney avait donc l’occasion de d’introduire ici de nouveaux personnages qui n’auraient pas à porter sur leurs épaules d’innombrables récits à venir, et pouvait donc dans ce contexte bénéficier d’une liberté créative théoriquement plus grande. De plus, Edwards avait fait la preuve avec son Godzilla qu’il avait un certain sens du spectacle apocalyptique à grand déploiement. Bref, le film s’annonçait comme un Star Wars qui ne serait pas tout à fait un Star Wars.
Dès les premiers plans, cette volonté de se distinguer du ton de la franchise est d’ailleurs manifeste et plutôt réussie. Au grand dam des puristes de la saga, le célèbre logo de Lucasfilm n’est pas suivi par l’apparition spectaculaire du titre sur fond de musique tonitruante de John Williams. Le prologue, qui décrit l’enlèvement du père de l’héroïne par un sbire de l’Empire, réussit en outre à mettre en place avec sobriété des personnages forts. Grâce au charisme de Mads Mikkelsen et Ben Mendelsohn, Edwards parvient à suggérer en quelques phrases les dilemmes moraux de deux anciens collègues et amis déchirés par leurs visions divergentes du bien commun. Aux antipodes de la vision volontairement manichéenne mise de l’avant dans The Force Awakens, Rogue One semble vouloir plonger dans les zones grises qu’explorait George Lucas dans sa seconde trilogie. Si le film ne fait finalement rien du personnage de Mendelsohn – et très peu de choses de celui de Mikkelsen –, rarement l’Alliance aura-elle été représentée de façon aussi ambivalente. Principalement composée de radicaux ou de politiciens prêts à tous les sacrifices humains pour anéantir l’Empire, l’Alliance n’est clairement pas montrée sous son meilleur jour. Il n’est pas surprenant dans ce contexte que Cassian Andor (Diego Luna), le ‘Han Solo’ du film, ne soit pas un sympathique contrebandier égocentrique mais plutôt un espion hanté par ses crimes de guerre. Et que Jyn Erso (Felicity Jones), l’héroïne du film, soit une reprise de justice tourmentée et courageuse qui rejette l’idée même d’intégrer la rébellion.
Les idées étaient là. Il ne restait plus qu’à montrer comment une horde sauvage hétéroclite allait finir par se sacrifier pour l’avenir du monde en dépit des institutions monstrueuses qui tentent de le dominer. Or, l’exécution de cet honorable plan a manifestement plié sous le poids des attentes de Mickey. Incapable d’incorporer le moindre temps mort par peur d’endormir un spectateur imaginaire qui serait gravement atteint de TDA, Rogue One accumule les scènes d’action à un rythme tel que les personnages ne se parlent la plupart du temps que pour se mettre en garde contre un projectile mortel lancé dans leur direction. Même le message émotif du pauvre père de Jyn est interrompu… par un bombardement nucléaire ! Or, la clé d’une bonne mission suicide cinématographique, comme l’ont démontré avec succès Kurosawa et Peckinpah, réside avant tout dans la mise en valeur des liens profonds qui finiront par unir le groupe. Et pour ça, il faut qu’ils apprennent à se connaître au moins un peu. Courir ensemble quelques jours, ça ne suffit quand même pas… Dans le cas de Rogue One, cette absence de développement psychologique du groupe est d’autant plus frustrante que le film possède l’un des meilleurs castings de la saga. Donnie Yen et Wen Jiang peuvent bien avoir des visages expressifs, ils ne peuvent pas en faire grand chose s’ils sont condamnés à répéter « I am with the Force. The Force is with me. » À côté de Rogue One, la franchise des Fast & Furious a l’air d’une œuvre à la densité shakespearienne.
Ainsi, malgré sa grande intensité, le troisième acte du film, qui propose assurément la meilleure scène de combat épique de l’histoire de la franchise, tombe plutôt à plat. Outre le manque d’investissement émotionnel dans le sort du groupe, l’impression mitigée que dégage cette finale spectaculaire est en outre liée à un sentiment indéniable de déjà-vu : combien de fois allons-nous avoir droit au montage parallèle d’une bataille dont l’enjeu est la destruction d’un bouclier au sol permettant de fragiliser une flotte galactique ? Cette incapacité volontaire de prendre suffisamment de distance avec le modèle éprouvé de la saga-mère est ce qui finit par plomber Rogue One. Le véritable Rogue One reste à faire. Ce Star Wars qui ne voulait pas tout à fait être un Star Wars se cherche encore et, entre fidélité et liberté, tente un grand écart impossible qui finit même par créer des monstres. Contrairement à la plupart des personnages du film, les recréations digitales de Peter Cushing et Carrie Fisher risquent en effet de hanter nos nuits… jusqu’au prochain épisode tout au moins.
La bande annonce de Rogue One : A Star Wars Story
22 décembre 2016