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Critiques

Route 132

Louis Bélanger

par Juliette Ruer

Route 132 est un conte. Peut-être parce que le film démarre sur un choc très réel, on prend un peu de temps avant de réaliser que ce road-movie va nous traîner sur le chemin de l’allégorie plutôt que sur l’asphalte. Tout semble très réaliste, comme l’était le style de The Timekeeper ou de Gaz Bar Blues. C’est chez nous, c’est le fleuve qui est à gauche. C’est l’histoire de deux copains d’enfance qui partent en galère, l’un parce qu’il a trop mal pour enterrer son fils et l’autre qui veut reprendre son souffle. Ils ont tous deux des vides à combler.

En chemin, comme dans les meilleures histoires, François Papineau (acteur hors pair) et Alexis Martin (coscénariste et sidekick idéal) croisent des gens sages qu’ils aimeraient oracles, mais qui se comportent en sphinx. Un prêtre attentif stagne dans son dogmatisme, une grand-mère et des tantes n’offrent que le temps qui passe en remède aux grandes souffrances et des militaires agissent pour ne pas dépérir. La réponse est aussi celle de tous les contes : ce que tu cherches est en toi. Frappe tes talons, et tu retourneras au Kansas… On s’accroche donc à ce duo mal assorti et on les suit dans ce paysage qui n’a pourtant rien du Pays d’Oz. L’été est beau, le décor est somptueux, mais les tons de bleus prédominent et tout parle de froidure.

L’accumulation de minis sujets greffés en chemin agace. Le pompier malpoli, le bum fou de Chinoises… on comprend les métaphores, les régions esseulées, un Québec bancal. On peut tiquer sur la fin, avec flash-back et visage apaisé. On peut tiquer aussi sur la différence de ton entre la grande souffrance de l’un et les quelques clowneries de l’autre. Mais ce que l’on prend pour des errances, des digressions au sujet principal, forment en fait un tout plutôt heureux. Étrangement, cela finit par servir l’ensemble, autant le fond que la forme. La route est dure, et les écarts font respirer l’essentiel. Mais la vie est ainsi chaotique et ressemble parfois à quelque conte, n’est-ce pas ? Et puis le talent de ce metteur en scène qui a le sens de l’amitié et qui sait décrire des histoires d’hommes nous fait croire qu’il travaille dans le réel, mais il décolle souvent. Tout est allégorie, même dans le fond d’une station d’essence de Gaz Bar Blues. Bélanger fait que tout se fond dans de la même veine dynamique, un mélange de fronderie et d’innocence. Un style qui tient de l’équilibriste, et qui pourrait définir son cinéma sensible.

 


20 janvier 2011