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Critiques

Shortbus: les yeux ouverts

John Cameron Mitchell

par Helen Faradji

Filmer la jouissance est devenu, ces dernières années, un événement dont l’on sort rarement indemne au cinéma. De Vincent Gallo à Catherine Breillat, en passant par Virginie Despentes, la culture moderne semble en effet avoir choisi ce moment d’une intimité renversante comme signal d’un profond mal-être social, renvoyant à des scènes au moins malsaines, au pire profondément désespérées.

Et voilà qu’arrive John Cameron Mitchell, jeune réalisateur natif du Texas dont le premier essai, Hedwig and the Angry Inch marquait déjà un regard et une sensibilité hors du commun sur des personnages que la société préfère exclure de la norme sexuelle. Partageant toujours cette sensibilité profondément humaniste, Shortbus fait encore évoluer ce propos, formidables acteurs prêts à tout, et trouvés par casting sauvage, en tête.

New York, aujourd’hui. Sofia (convaincante Sook-Yin Lee), sexologue mariée en mal d’orgasme, Severin, maîtresse dominatrice déprimée, enfin James (Paul Dawson visiblement inspiré par le réalisateur Jonathan Caouette et son Tarnation) et Jamie, couple gay en quête de nouvelles expériences croisent leurs chemins au Shortbus, club underground libertin de Brooklyn. Personnages principaux, si l’on peut dire, qui trouvent chacun dans le regard des autres un miroir où affronter leurs démons.

Certes, pour la légende, Shortbus contient son lot de scènes sexuelles plus qu’explicites que Mitchell parvient néanmoins à observer avec une tendresse telle qu’elles ne paraissent jamais gratuites ou déplacées tout en leur donnant consistance en les liant à une véritable pulsion de mort. Mais au-delà de ce premier aspect, forcément cru, Shortbus réussit surtout à dresser le portrait d’une communauté où existe la possibilité de renouer des liens dont le quotidien nous prive. Soulagement. Métaphorisant la profonde tristesse de l’hypersexualisation contemporaine, le film tente en fait de renouer avec une certaine idéologie du cinéma des années 1960 : l’euphorie des ensembles. Mais comme le précise un des personnages, Shortbus, « c’est peut-être comme les années 1960, mais sans espoir ».

Réellement mélancolique, évoquant la chair comme un subterfuge bien vacillant à offrir à nos solitudes, Shortbus réaffirme effectivement l’absolue nécessité de la sève que sont les liens sociaux et sentimentaux. Malgré un dernier tiers tirant parfois en longueur et une fin quelque peu idéaliste, le film professe en somme une morale cucul pour certains, rassurante pour d’autres : les ombres du sida et du 11 septembre peuvent bien planer, ce n’est qu’ensemble que nous trouverons une façon de survivre.

 

 

 


19 novembre 2006