Silver Linings Playbook
David O. Russell
par Apolline Caron-Ottavi
Après The Fighter, David O. Russell s’attaque au feel-good movie. Dans Silver Linings Playbook, il embrasse la comédie romantique avec tant d’effusion qu’on ne peut s’empêcher d’être un peu déçu. Il y a là non pas un cinéaste qui s’empare d’un genre, mais un cinéaste qui s’efface derrière le genre, avec une application telle qu’il en devient transparent. On regrette l’âpreté de The Fighter, ses personnages rugueux, sa temporalité incertaine. Même si le film avait ses défauts, il témoignait néanmoins d’une certaine audace (se plonger dans des décors aussi risqués que ceux de la boxe, des années 1980, du milieu prolétaire…). Dans Silver Linings Playbook, tout est lisse, convenu, évident. Rien ne surprend dans cette histoire d’un professeur qui, après un séjour en hôpital psychiatrique suite à la découverte que sa femme le trompe, finit par tomber amoureux de sa voisine un peu folle, et retrouve de même qu’il lui redonne le goût de vivre en apprenant à danser avec elle.
C’est tellement feel-good que l’on finit par se sentir un peu mal à l’aise.
Car O. Russell s’empare du genre sans le questionner une seule seconde, sans chercher à déplacer ses cadres, à brusquer ses archétypes, à réactualiser la part d’inquiétude intrinsèque à son euphorie. Il joue le jeu gentiment, en sifflotant la petite chanson de la vie telle qu’Hollywood continue de la vendre : des hauts et des bas qui se nivellent les uns les autres, dans un va-et-vient qui prétend s’ancrer dans un réalisme dont on ne sait plus trop à quel réel il se rattache. Parce que le problème est là, dans cette volonté de réalisme : la crise psychiatrique, sociale, identitaire qui servent d’assise à une histoire d’amour entre détraqués. Un film choral en forme de melting-pot timide et caricatural. Des personnages déboussolés qui restent propres sur eux, des mois d’hôpital psychiatrique qui ne laissent qu’une égratignure sur un beau visage. La danse qui sauve le monde.
Ce n’est pas méchant, c’est amusant, quoiqu’un peu ennuyant, mais on ne peut pas s’empêcher d’être un peu tracassés par toute cette inconséquence, qui s’appuie et prend pour prétexte la douleur de se sentir à côté du monde sans jamais à un seul moment l’effleurer, ni même la comprendre. Car il y a bien de quoi devenir fou dans cette société au conformisme imbécile, mais le film finit par nous faire comprendre qu’il ne s’agit là que d’un égarement, et qu’il faut rentrer au plus vite dans les rangs, pour se conformer avec joie à ce bonheur de pacotille. On attendait mieux du cinéaste de The Fighter quant à l’exploration de la marginalité ordinaire…
Tout le monde a l’air de vouloir hisser David O. Russell au rang de nouveau talent le plus prometteur d’Hollywood. Il est tellement bon élève qu’il pourrait bien y trouver son compte. Mais on ne peut pas en dire autant du cinéma grand public. On se rappelle les comédies américaines de Capra et des autres, et on se dit que le sens du tragi-comique, du rythme, de l’ellipse et tout simplement du romantisme se sont sacrément perdus. Il ne s’agit plus de parler légèrement des choses graves, mais de prendre un ton grave pour mieux rester frivole et inoffensif.
La bande-annonce de Silver Linings Playbook
22 novembre 2012