Slumdog Millionaire
Danny Boyle
par Bruno Dequen
Un mois après son triomphe prévisible à la dernière cérémonie des Oscars, la sortie en DVD du ‘petit’ film de Danny Boyle offre une belle occasion de poursuivre la réflexion critique entamée par Marcel Jean dans le numéro 141 de 24 Images. À l’opposé des (trop) nombreuses critiques élogieuses récoltées par le film depuis sa sortie, l’excellent article de Marcel Jean a pour principal intérêt de mettre à jour les problèmes d’ordre éthique que pose le désormais célèbre ‘pouilleux millionnaire’ (pour reprendre la superbe traduction québécoise), comparant entre autre la vision raciste et simpliste qu’a le film de l’Inde contemporaine avec celle que proposait à l’époque Midnight Express de la Turquie.
Une telle comparaison soulève une question importante : est-il judicieux de comparer ces deux films, alors que ceux-ci ne semblent pas avoir la même visée? En effet, la vision du film de Parker est d’autant plus problématique que ce dernier, adapté d’un ouvrage autobiographique, prétendait représenter avec réalisme les conditions d’emprisonnement en Turquie. À l’opposé, le film de Boyle est fondé sur un récit qui ressemble bien plus à un conte de fées d’une candeur, il est vrai, surprenante. En d’autres termes, pourquoi alors comparer les responsabilités éthiques de deux films dont les ambitions ethnographiques (réalisme pour l’un et fantaisie pour le second) semblent être de prime abord aux antipodes?
C’est que Slumdog Millionaire, malgré la fantaisie manifeste de son récit, comporte de nombreux de partis-pris esthétiques dont les effets forcent la comparaison avec le réalisme de Midnight Express. En effet, si Danny Boyle est un cinéaste particulièrement virtuose d’un point de vue technique, l’un des ses tics formels les plus remarquables a toujours été la juxtaposition constante d’effets réalistes (la caméra à l’épaule, l’utilisation de décors naturels) et d’éléments fantaisistes (les délires de Trainspotting, les zombies de 28 Days Later). Or, cette juxtaposition produit une impression d’hybridité qui, si elle génère un dynamisme audio-visuel certain, porte à confusion. Sommes-nous supposés interpréter Slumdog Millionaire comme une simple fantaisie, ou comme une juste représentation de la société indienne contemporaine? Dans le premier cas, la simplicité du film serait gênante, alors que dans le second, elle devient effectivement choquante. En fin de compte, ce sont les capacités techniques mêmes de Danny Boyle qui posent problème dans ce film qui n’aurait peut-être dû n’être qu’une petite histoire à l’eau de rose tournée en studio. Et l’importance culturelle disproportionnée que ses nombreux prix lui ont donné ne font qu’aggraver la situation.
2 avril 2009