Critiques

Soie

François Girard

par Rachel Haller

Chez François Girard, budget et qualité font décidément mauvais ménage. Las! On se voit une nouvelle fois contraint à l’éloge de la pauvreté alors que le 7e art crie trop souvent famine. Mais le constat est là. Depuis 32 films brefs sur Glenn Gould, le seul réalisateur québécois à avoir vraiment les pieds au chaud (vive la coproduction!) descend à chaque fois plus bas sur l’échelle du talent pour remonter plus haut sur celle du financement.

Du docu-fiction inventif et rondement mené, il a glissé vers la saga tire-larmes mais joliment filmée et mise en musique (Le Violon rouge) pour plonger avec Soie dans le mélodrame sans bouée. Car cette fois, ni l’image, ni la bande-son ne parent la submersion. A part quelques beaux plans de plaines glacées, de montagnes enneigées et de fumerolles sur peau dénudée, son film patine sur une surface plane et molle. Des éclairages souvent maladroits, des couleurs parfois inutilement saturées et des cadrages résolument sans histoire. Quant à la musique, tout de même sa spécialité, elle enfile des perles de mélasse.

Pourtant, il y avait matière à époustoufler. Sa besace pleine de millions lui a permis, entre autres, de parcourir le Japon. Or, il en livre la pâle carte postale d’un village reconstitué semble-t-il dans les Rocky Mountains. Pourquoi alors aller si loin? Pour dire, dans la veine world cinema, puisque l’ambition est là, Pan Nalin (Samsara) et Eric Valli (Himalaya, l’enfance d’un chef) ont su autrement nous faire rêver. Sans parler du magnifique Dolls de Kitano, mais là on touche à un autre registre. Et pour parachever le tableau, Michael Pitt et Keira Knightley prennent leur bouche en coeœur comme une preuve ultime de talent.

Mais, plus décevant encore, François Girard trépasse à l’épreuve de l’adaptation, celle du roman éponyme d’Alessandro Baricco. Roman trop célèbre pour éviter au réalisateur la comparaison serrée. Sans même s’aventurer dans le débat sur la transposition de la matière-mot, de l’entité-littérature (Girard n’est pas Bresson, on le sait), on ne peut que constater l’échec. Contrairement à Catherine Breillat ou Pascale Ferran, pour prendre des exemples récents, il ne parvient pas même à révéler l’essence de l’œuvre. De la légèreté poétique, de l’ellipse émotionnelle, de la sensualité en creux du texte original ne subsistent rien. La substance aérienne a disparu sous les coups de boutoir du mélodrame, l’explication (et la réexplication) l’a emporté sur la suggestion et a ravi du même coup le sens caché. La nostalgie de l’ailleurs, de l’inaccessible est devenue la complainte à une voix de l’amant partagé. Pourtant, François Girard connaît bien la langue et l’œoeuvre de l’écrivain puisqu’il a aussi mis en scène au théâtre Novecento. Reste à espérer qu’il a davantage brillé sur les planches qu’il ne le fait maintenant à l’écran!


20 septembre 2007