Southland Tales
Richard Kelly
par Helen Faradji
L’aventure de Southland Tales est peut-être le plus grand gâchis cinématographique des deux dernières années. Deuxième long du petit génie américain Richard Kelly, le film a en effet vu sa sortie charcutée pour atterir ici « direct to video« . Un destin qu’avait d’ailleurs aussi connu son premier - aussi génial que culte - Donnie Darko. Y’a-t-il des visionnaires dans la salle?
Pour faire de ce fiasco une histoire courte, Southland Tales fut présenté en grande pompe à Cannes l’an dernier. Patatra, l’objet s’y cassa les dents avec fracas, perdant du même coup tout espoir de trouver un distributeur. Remonté, amputé de 20 minutes, le film est finalement sorti en catimini chez nos voisins et d’autres avant de débarquer maintenant par chez nous.
Qu’y a-t-il donc dans Southland Tales pour autant rebuter? Que lui vaut donc ce statut de film maudit? A priori, pas grand chose et l’on serait bien en peine de trouver des raisons légitimant ce ratage. Car, certes, si le film souffre d’une certaine folie des grandeurs, il n’en reste pas moins un objet intriguant et subversif, personnel et audacieux.
Dans un Los Angeles traumatisé par une explosion nucléaire ayant eu lieu deux ans auparavant, la vie se poursuit malgré tout, et l’élection présidentielle de 2008 va bel et bien avoir lieu. À moins que les groupuscules néo-marxistes ayant juré la perte du capitalisme ne l’empêche. Ou encore qu’une vedette de cinéma (The Rock, en pleine forme) marié à une fille de sénateur républicain devenu amnésique ou qu’une star de porno (Sarah Michelle Gellar) ou même qu’un soldat revenu au bercail (Dwayne Johnson) ne lui mette des bâtons dans les roues. Futur, vous avez dit futur?
Complexe, touffu et parfois même confus, Southland Tales est un mille-feuilles déstabilisant où l’auteur s’amuse à vouloir tout et son contraire. Une pincée d’anticipation saugrenue, une louche de comédie populaire fantasque, une cuillère de thèse ésotérico-mystique, un bol de baroque glam. Tout y passe et sans retenue. En réalité, l’on pourrait penser que si Donnie Darko avait cette fraîcheur des nouveaux-venus qui n’ont rien à perdre, Southland Tales, lui, a plutôt cette ambition démesurée des seconds essais qui ont tout à prouver.
Et parfois, malgré sa vision, malgré son indéniable talent, Kelly se perd dans les dédales de ce grand embrouillamini de culture pop, de satire politique féroce, de regard halluciné lancé sur les travers de notre société (au choix, la religion, la paranoïa, l’autoritarisme, le voyeurisme, les perversités d’une recherche du profit à tout prix ). Comme un fils caché de Terry Gilliam période Brazil et d’un Tarantino qui aurait eu une conscience politique, Kelly tire à tout-va sur tout ce qui bouge, et même les conventions de la fiction. Grand n’importe quoi ou génie visionnaire? On ne sait plus trop. On sait par contre que Southland Tales vient de réussir à nous offrir un des miroirs les plus précis et les plus déglingués dans lequel observer le chaos qui nous sert de monde. Et rien pour calmer nos angoisses.
20 mars 2008