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Critiques

Spectre

Sam Mendes

par Alexandre Fontaine Rousseau

Quantum of Solace reprenait là où se terminait Casino Royale. Spectre, quant à lui, se révèle la suite logique de Skyfallmais il cherche aussi à boucler la boucle et à consolider, en les rassemblant une bonne fois pour toutes autour d’une même machination machiavélique, les quatre films de ce qui constitue désormais une franchise moderne et cohérente. Alors que James Bond avait toujours été une affaire de répétitions et d’éternels recommencement, la série semble en effet avoir subi une transformation profonde, au cours des dix dernières années – question de s’adapter (une fois de plus) à son époque. Aux aventures se succédant sans véritable lien se sont substitués des « épisodes » se répondant les uns aux autres, tant sur le plan narratif que thématique.

Si Spectre marque réellement la fin de la carrière de Daniel Craig à titre d’agent 007, le parcours de l’acteur se sera essentiellement avéré sans faute – et ce même si, objectivement, ce nouvel opus n’est pas aussi réussi que ne l’était l’impressionnant Skyfall. C’est d’ailleurs le plus grave défaut du film, tout comme celui de Quantum of Solace était de faire suite à la surprise en bonne et due forme que constituait Casino Royale. Hoyte Van Hoytema, directeur de la photographie sur le brillant Tinker Tailor Soldier Spy de Tomas Alfredson, nous offre un authentique morceau de bravoure avec la scène d’ouverture du film – un superbe plan-séquence nous plongeant en plein coeur du Día de los Muertos mexicain. Mais la facture de l’ensemble s’avère malgré tout moins stupéfiante que ne l’était celle de Skyfall, mis en image par l’exemplaire Roger Deakins.

Dans le même ordre d’idée, force est d’admettre que des concepts tels que le mystérieux passé de James Bond ainsi que l’anachronisme de sa profession étaient déjà exploités à meilleur escient dans le film précédent. Est-ce assez pour faire de Spectre une déception, comme semble l’indiquer un certain consensus critique? Il me semble que non, pour autant que l’on accepte de l’apprécier pour ce qu’il est – c’est-à-dire le plus consciencieusement « rétro » de ces quatre films, reprenant avec une candeur assumée certaines traditions qui avaient été abandonnées au cours des dernières années au nom d’un réalisme somme toute illusoire. Spectre est en ce sens un James Bond « à l’ancienne », assumant pleinement sa démesure quitte à frayer avec le ridicule; et il redécouvre, par la même occasion, que ce ridicule ne tue pas.

Même cette Madeleine Swann qu’incarne Léa Seydoux a ici des allures d’anachronisme – et le renvoi à Proust qu’insinue son nom ne semble pas du tout innocent, dans le contexte d’un film qui semble avoir été construit tout entier à la manière d’une vaste réminiscence. Ancré dans le souvenir, Spectre fourmille de références presque subconscientes : une clinique en haute altitude qui ressemble à s’y méprendre à la base d’Ernst Stavro Blofeld dans On Her Majesty’s Secret Service, une ballade en train évoquant celle de From Russia With Love, un centre de contrôle rappelant celui qu’opérait Michael Lonsdale dans MoonrakerCes clins d’oeil viennent amplifier cette sensation insistante d’un récit hanté par le passé – l’antagoniste, vestige de l’ère Connery, surgissant d’ailleurs de l’enfance de James Bond tel un souvenir à demi oublié.

Spectre, en ce sens, compose habilement avec l’historicité complexe de la franchise. Il oscille entre l’hommage et la réinvention, puisant son inspiration à gauche et à droite dans plus de cinquante ans de cinéma qu’il reconfigure à sa guise. James Bond, figure éminemment nostalgique, y paraît plus que jamais habité par son propre passé; et cet épuisement qui transparaît dans le visage de Daniel Craig n’en est par conséquent que plus éloquent. Après quatre films, il est le seul interprète de l’agent 007 qui semble avoir gagné en maturité avec le temps. Les autres ont tout simplement vieilli; Craig, pour sa part, a évolué. Voilà ce que l’on retiendra de cette énième incarnation du mythique personnage : c’est la première qui ne soit pas figée, réduite à l’état de concept. James Bond, pour la première fois de son histoire, est un personnage plutôt qu’une idée. Il n’existe plus uniquement dans un présent perpétuel; il possède désormais un passé. Spectre, pour cette raison, porte bien son nom.

Spectre est disponible sur DVD/Blu-ray et Vidéo sur demande depuis le 9 février 2016.


2 février 2016