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Critiques

Spring Breakers

Harmony Korine

par Helen Faradji

Il y a d’abord cette image que l’on a déjà vue 1000 fois. Le soleil plombant, la plage, les litres de bière qui éclaboussent sans retenue des corps jeunes, mais abîmés. La musique tonitruante, le fluo sur ce qui peut rester de vêtements, la légèreté apparente d’un moment qui, dès le lendemain, pour ceux qui s’en souviendront, servira de fait de guerre, brandi bravement à la face de ceux qui sont restés en ville. Sans oublier l’oubli érigé en valeur, les mimes porno, les intoxications en tout genre. C’est le Spring Break, tradition nord-américaine devenue rite dont, pourtant, personne ne peut s’affirmer sortir grandi.

Et puis, il y a ce ralenti.

Celui signé Harmony Korine et qui, bien loin de s’attarder avec complaisance ou sensationnalisme sur ces fesses épileptiques, ces tatoos de barbelés, ces muscles avachis (nous avions déjà évoqué le sain et salutaire débat critique provoqué par Spring Breakers), donne d’emblée le ton. Celui mariant violence rageuse et tristesse sincère. Celui d’un cinéaste, aujourd’hui quarantenaire, qui regarde en arrière sans pourtant ne jamais surplomber cette jeunesse qu’il observe, semblant se souvenir de ce temps où rien n’est interdit avec une tendresse qui n’empêche ni le regret, ni l’amertume.

Oui, car c’est bien ce qui frappe dans Spring Breakers : la présence assumée, constante, rigoureuse et inspirée, d’un cinéaste. D’un artiste résolu à nous parler du monde dans lequel nous vivons sans le juger bêtement et à ne pas s’effacer derrière le choc de ses images naturellement crues. D’un créateur capable de transcender une réalité vulgairement cinégénique pour mieux comprendre, sans jamais les excuser, les forces qui sont à l’œuvre dans l’Amérique de 2013. Celles qui poussent presque chaque jour des fous dangereux à prendre une arme ou celles qui autorisent une équipe de foot à violer impunément une gamine de 16 ans.  Celles qui ont permis le règne de la télé-réalité, des chanteuses pop et de la bêtise constante. L’Amérique de la violence et du vide.

Car, cette fois, pas de provocation stérile, ou de mollesse facile, chez Harmony Korine dans ce regard sur quatre jeunes filles en bikini qui vont braquer un restaurant pour pouvoir se payer le voyage au paradis du clinquant, avant d’y rencontrer un vrai gangster qui va autant profiter que se faire dévorer par ces Bonnie nouveaux genre. Mais un vrai geste de cinéma qui dit notre monde, qui dit avec une lucidité déstabilisante ce qu’est cette génération Britney, Paris ou Kim de façon intensément noire, forte, émouvante, et qui dit cette insensibilité, cette apathie générationnelle forçant à la défonce, à la facilité, à la violence comme dans une quête insensée de la sensation perdue. Une mise en scène obsédante et généreuse, faite de répétitions, de jeux de focale, de musique hypnotique, de fragmentations, de cadres morcelés, de lumières sublimes et qui évoquerait volontiers celle d’un Malick ou d’un Tsaï-Ming-liang, si Korine n’y déposait pas les images trash, obscènes de cette spirale infernale où s’évanouit toute dignité, toute intégrité, toute morale.

Mais plutôt que de s’y perdre lui-même, c’est avec une intelligence redoutable que le cinéaste y réinvente ses héroïnes sous les traits d’Ashley Benson, de Rachel Korine, de Vanessa Hudgens et de Selena Gomez, chanteuses pour midinettes dont il va déconstruire l’image autant formellement que narrativement pour mieux fustiger l’hypocrisie de cette Amérique puritaine qui crée ses princesses Disney à la chaîne comme pour mieux étouffer ce que sa jeunesse est réellement devenue. Heureusement, ni Harmony Korine, ni nous, ne sommes dupes. Heureusement, il y a des cinéastes.

Helen Faradji

La bande-annonce de Sping Breakers


11 juillet 2013