Star Trek: Into Darkness
J.J. Abrams
par Bruno Dequen
Dans son numéro du mois de juin, les Cahiers du cinéma consacraient un dossier spécial au réalisateur/producteur/scénariste américain J.J. Abrams. Depuis des années, la fameuse revue fait preuve d’un réel enthousiasme envers le nouvel homme à tout faire d’Hollywood. Une position qui pourrait surprendre de ce côté-ci de l’Atlantique, où Abrams est avant tout considéré comme un faiseur/entrepreneur à la tête de Bad Robot, une maison de production omniprésente au cinéma (Mission : Impossible 3 et 4, Star Trek et bientôt Star Wars) et à la télévision (Lost, Fringe), mais qui rappelle en fin de compte les positions prises par la revue à ses débuts, lorsqu’il s’agissait de porter aux nues de purs réalisateurs de studio afin de jeter les bases d’une théorie des auteurs à venir. Or, de ce point de vue, il est vrai que le cas Abrams est intéressant. Moins ouvertement conceptuel que Christopher Nolan, usant d’une mise en scène relativement convenue de nos jours (caméra à l’épaule et surnombre de plans) et manifestement obsédé par le cinéma des oncles Spielberg et Lucas, Abrams n’affirme pas immédiatement une singularité évidente. Ce que reconnaissent les critiques des Cahiers avant de se lancer dans d’intéressantes observations des récurrences thématiques chez Abrams.
En fait, sous de nombreux aspects, la particularité d’Abrams est d’être le faiseur parfait, l’artisan doué en phase avec son époque. Récemment sorti en DVD, Star Trek : Into Darkness est ainsi un divertissement aussi jouissif qu’exemplaire du cinéma hollywoodien actuel. Il s’agit du second volet de la nouvelle génération de la saga de science-fiction, rebootée (pour reprendre le terme américain) par Abrams en 2009. Le premier film avait ceci de particulier qu’il était à la fois un recommencement et, à travers une sorte de manipulation spatio-temporelle semi-incompréhensible, une continuation de la mythique série. Dans le même esprit que Bryan Singer lorsqu’il décida de faire de son Superman Returns, une suite-hommage aux films de Richard Donner, Star Trek refusait de faire table rase. Le nouveau Spock put ainsi discuter avec l’ancien Spock, profitant de ses conseils tout en poursuivant son propre chemin. Une telle situation fait-elle du sens? Pas tout à fait, mais cela importe peu puisque l’une des clés de la démarche d’Abrams est de ne jamais hésiter à plonger dans l’absurde – ou l’inexplicable, l’illogique (pour plus de détails, revoir Lost) – si une telle décision lui permet de créer des scènes émouvantes et/ou de satisfaire momentanément tous les publics. Il est l’homme parfait pour lancer des pistes sans nécessairement être capable de les poursuivre. Il est l’homme des prémisses.
Ce qui explique peut-être que Star Trek : Into Darkness, qui arrive quatre ans après son prédécesseur, n’est pas tant une continuation du premier opus qu’un nouveau recommencement. Dans le premier film, nous faisions connaissance avec les nouveaux/anciens personnages de cet univers, et le récit utilisait une histoire de vengeance pour mettre en place les dynamiques interpersonnelles qui seraient enfin exploitées lors des véritables odyssées de l’Enterprise. Si Star Trek : Into Darkness s’ouvre, comme il se doit dans notre ère post-James Bond/Indiana Jones, par une séquence d’action typique des missions de la série, nos pauvres Kirk et Spock perdent leur vaisseau cinq minutes plus tard, et le film devient alors une histoire de vengeance permettant de mettre en place les dynamiques interpersonnelles qui seraient enfin exploitées lors des véritables odyssées de l’Enterprise. Comme le dirait le personnage de James Franco dans Spring Breakers, « Reboot forever bitches! ». Ce n’est pas tant une critique qu’une constatation. Combien de blockbusters hollywoodiens sont-ils réellement conçus comme des films à part entière de nos jours? La plupart de ces films fonctionnent avant tout comme des outils promotionnels d’un réel contenu à venir. Dans le cas de Star Trek, il s’agit de cette fameuse mission originale de cinq ans que les films nous promettent depuis quatre ans déjà. Dans le cas des super-héros, les studios affirment haut et fort que chaque épisode individuel n’est qu’une promotion déguisée pour la réunion de famille à venir. Si la narration sérielle a envahi le grand écran, il serait grand temps que les films démontrent leur capacité d’utiliser ce format avec la complexité que démontrent les plus grandes séries actuelles.
Toute cette diatribe pourrait laisser penser que Star Trek : Into Darkness est un objet plutôt décevant. Pas nécessairement! Son récit est bien mené. Abrams est passé maître dans l’alternance dynamique entre les séquences d’action et le développement des personnages. Lucas aurait dû l’engager plutôt au lieu de réaliser lui-même sa désastreuse dernière trilogie. Si le film souffre d’un quelconque défaut, c’est d’être trop de son temps, sans jamais être capable d’affirmer une réelle singularité. Outre son statut d’éternel reboot, il use d’une stratégie narrative aussi populaire qu’usée (l’antagoniste complexe qui se laisse capturer : voir Dark Knight) et présente son sous-texte politique obligatoire (nous avons créé nous même notre propre ennemi : voir trop de films ou séries pour les nommer). Le tout est très bien fait, mais espérons que ce brillant artisan décidera un jour de se lancer dans une véritable aventure bien à lui.
La bande-annonce de Star Trek : Into Darkness
26 septembre 2013