Star Wars : The Last Jedi
Rian Johnson
par Alexandre Fontaine Rousseau
Le fait est que l’appréciation d’un nouveau Star Wars ne relève plus exactement du domaine de la « critique cinématographique ». Je ne suis certainement pas « objectif » en allant voir The Last Jedi et je n’ai pas l’intention d’être entièrement « critique » face à ce film : j’espère, un peu naïvement, renouer avec ce sentiment que j’avais autrefois lorsque je réécoutais la trilogie originale pour la millième fois. The Force Awakens comprenait ce désir et j’irais jusqu’à dire qu’il le partageait. Il devait aussi composer avec cette question étrangement complexe : qu’est-ce que Star Wars ? Quelle est l’exacte nature de cette essence indicible, pourtant si facilement compromise, avec laquelle la franchise devait semble-t-il renouer ? The Force Awakens cherchait à plaire aux puristes : « Star Wars » y était à la fois une mythologie à perpétuer et une manière de faire, une façon particulière de raconter et d’illustrer celle-ci.
Vous pourrez dire ce que vous voudrez sur J.J. Abrams et sur son film. Pointer d’un doigt accusateur l’absence d’originalité (entièrement assumée) de sa structure narrative. Critiquer le classicisme (parfaitement justifié) de sa mise en scène. Accuser de pure paresse l’entreprise de relecture de la trilogie originale entamée avec ce septième épisode de la populaire saga. Vous n’aurez pas complètement tort, mais vous n’aurez pas entièrement raison non plus. Car, au final, on peut difficilement reprocher à Abrams d’avoir voulu rassurer les innombrables fans déçus par The Phantom Menace, Attack of the Clones et Revenge of the Sith. Sa mission était aussi simple que risquée : il fallait que Star Wars redevienne Star Wars. Peu importe ce que cela veut dire.
Rian Johnson, sur le plan formel, se permet quelques petits écarts de conduite ; il s’éloigne parfois de cette mise en scène strictement codifiée que reproduisait fidèlement Abrams. Mais, essentiellement, il s’en tient au plan de match établi par ce dernier : rester fidèle à tout prix (y compris celui d’une certaine originalité) à ce fameux « esprit » qu’il fallait coûte que coûte retrouver. De même que The Force Awakens reprenait A New Hope, The Last Jedi propose ainsi une synthèse de The Empire Strikes Back et de Return of the Jedi. Les clins d’œil et les citations y côtoient les emprunts purs et simples. Certains diront que Johnson est prisonnier du modèle esquissé par le film précédent, d’autres qu’il en signe la suite logique ; mais, à plusieurs égards, force est d’admettre que The Last Jedi s’avère plus ambitieux que son prédécesseur.
Sa durée est en soi imposante : du haut de ses 152 minutes, il s’agit en effet du plus long film de la série. Mais Johnson en a beaucoup à raconter, développant du mieux qu’il le peut ses multiples héros tout en introduisant de nouveaux personnages qui viennent étoffer cet univers – tant et si bien qu’il exploite à bon escient cette ampleur potentiellement épuisante, offrant au final un long métrage au souffle véritablement épique. Exception faite d’une escapade sur une planète-casino, au cours de laquelle Johnson reconduit pour un bref instant la mise en scène tarabiscotée du George Lucas des mauvaises années, The Last Jedi ne s’étire pas inutilement sous l’effet de péripéties superflues ; il utilise réellement sa durée afin de conférer à une série d’événements clés une véritable portée dramatique.
Évidemment, les personnages de la trilogie précédente continuent d’occuper un rôle central dans cette fresque, servant de piliers et conférant au récit une certaine densité temporelle et émotionnelle. Mais, plus encore que dans The Force Awakens, on sent ici que les jeunes protagonistes de cette trilogie ont véritablement repris le flambeau qui leur est tendu, qu’ils sont en mesure de porter le film sur leurs propres épaules ; et si l’apparition de figures familières continue de toucher chez le spectateur nostalgique une corde sensible, leurs successeurs ne sont jamais relégués au rang de simples faire-valoir. Les héros de The Last Jedi ne peuvent pas échapper à ce rapport au passé, à ce lien de filiation avec lequel ils doivent composer ; mais cette tension, au lieu de les déchirer, contribue à les renforcer.
Ici, toutefois, ce sont aussi les légendes qui sont confrontées à cette réalité et qui doivent, à leur tour, prouver qu’elles sont à la hauteur de leur réputation. Ce que The Force Awakens exigeait de ses héritiers, The Last Jedi le réclame de ses mythes et, plus précisément, de Luke Skywalker. Pour Johnson, il s’agit en quelque sorte de reconsidérer cet héritage que célébrait sans réserve le film d’Abrams – et ce pour mieux le justifier, le légitimer et au final le consolider. Mais son film le remet aussi en question en nuançant, dans la foulée du Rogue One de Gareth Edwards, cette opposition somme toute schématique entre le bien et le mal sur laquelle reposait la trilogie originale.
Parfois, ces enjeux sont abordés de manière un peu trop appuyée. L’écriture de Johnson manque de souplesse, ses dialogues de finesse ; sa manière de jouer la carte du second degré paraît légèrement forcée. Mais ces quelques tics passagers n’ont jamais raison de cette logique symphonique, de cette portée mythique qui atteint dans le dernier acte des sommets inespérés. À une époque où la plupart des blockbusters se font ironiques ou carrément cyniques, The Last Jedi ose la sincérité, conscient de l’importance sans doute déraisonnable que nous accordons à cette fiction un brin simpliste, aussi enthousiaste que nous à l’idée que nous pourrons peut-être renouer l’instant d’un film avec l’innocence de l’enfance. Il cultive intelligemment cette simplicité, la place au service du mythe ; et c’est ici que toute prétention critique cède définitivement le pas à ma joie d’annoncer que la magie opère encore.
13 Décembre 2017