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Critiques

Starbuck

Ken Scott

par Helen Faradji

Sous le pseudonyme Starbuck, David Wozniak a donné du sperme. Beaucoup de sperme. Du genre à permettre que 533 femmes soient inséminées. Aujourd’hui, 142 de ces enfants réclament le droit de rencontrer leur cher papa. Ah mais attendez. C’est que celui-ci s’apprête lui-même à devenir papa. Le lit est fait pour que Ken Scott, aidé au scénario par Martin Petit, nous refasse le coup de La grande séduction. Sortie en plein été, au moment où les salles sont particulièrement rafraîchissantes, sujet universel, immense capital sympathie de la vedette Huard : voilà qui sent le carton plein.

En réalité, s’asseoir devant Starbuck, c’est aussi reconnaître immédiatement les différents symptômes affligeants notre production populaire. Musique indie-folk envahissante dégoulinant de chaque scène comme elle le faisait dans Les Aimants. Julie Le Breton enceinte et jouant les utilitaires comme dans Une vie qui commence. Relations tendues entre frères comme dans Les 3 p’tits cochons. Éclairs de sagesse populaire à la Babine. Caméra s’attardant longuement, très longuement, sur une scène de chalet, Roch Voisine au coin du feu pour marteler l’importance du bonheur de vivre ensemble comme dans Bon cop/Bad cop. Et puis, bien sûr, ce thème de la paternité qui, de L’audition à De père en flic, de La vie avec mon père à C.R.A.Z.Y, semble maintenant faire partie intégrante de l’ADN de notre production nationale.

On pourrait continuer ainsi des heures pour montrer comment Starbuck joue dans des terres mille fois labourées. Mais ce ne serait pas tout à fait rendre justice à la deuxième réalisation de Scott. Car malgré ses défauts visibles et apparents, ses maladresses parfois vertigineuses (ces plans mielleux et malaisants sur l’enfant handicapé, ce fils gothique au jeu mal assuré dont les scènes paraissent plaquées sur un scénario qui n’en demandait pas tant), le film se distingue du lot. Par sa mise en scène d’abord. Refusant de céder à la complaisance d’une réalisation convenue ne servant qu’à faire passer le message, Scott y peaufine direction photo, aux reflets un peu sales, texturés, et cadrages pour laisser ses personnages réellement occuper le champ, à distance, errant dans une belle profondeur de champ, en chair et en dimensions. Devant la demi-tonne de films qui, chaque semaine, se collent le nez sur les visages comme pour nous faire oublier que derrière les yeux, le reste aussi pouvait signifier, voilà qui fait du bien.

Et puis, il y a aussi ce ton. Cette valse douce-amère entre « les enfants, quelle plaie » et « plus on est de fous, plus on rit ». Cette légèreté joliment délicate qui ne calibre pas entièrement la comédie. Ces dialogues, certes répétitifs, mais qui ne cherchant pas le punch comique, préférant ménager leurs effets. Ce léger décalage faisant du football, et non du hockey, l’intérêt premier de ce fils d’immigrés polonais, comme pour rappeler en filigrane que la religion nationale n’est pas si monothéiste que l’on pense. Ce personnage enfin, étrange croisement entre Gaston Lagaffe, Forrest Gump et un loser lâche et pathétique, qui, malgré son réel manque d’épaisseur et de chair, réussit par finir à se rendre attachant, la faute entre autres au jeu sensible et nuancé de Patrick Huard à qui on peut bien reprocher ce que l’on veut, mais qui n’en impose néanmoins pas moins un nouvel archétype d’anti-héros québécois (après le sensible à la Luc Picard, le mystérieux à la Roy Dupuis, le bonhomme à la Rémy Girard). Des défauts? Oui, assurément. Mais une voix bien à lui, une réelle personnalité, de l’originalité. Parfois, les étonnements se dénichent vraiment dans les endroits les plus incongrus.

La bande-annonce de Starbuck


21 juillet 2011