Critiques

Suicide Squad

David Ayer

par Pierre Charpilloz

La nuit règne sur Washington D.C. Amanda Waller (Viola Davis) sort de sa limousine, un attaché-case à la main. A l’intérieur, le dossier d’un projet : réunir des super voyous dans le but de combattre un éventuel super méchant. Le ton est grave, la mise en scène digne d’un film néo-noir. On ne rigole pas avec ces choses là. Les super héros, c’est du sérieux. Femme de pouvoir, représentant le gouvernement tout en étant parfaitement indépendante, impressionnante, jamais effrayée et toujours sûre d’elle, Amanda Waller est le clone féminin de Nick Fury, joué par Samuel L. Jackson dans les films Marvel, lui-même instigateur d’un autre groupe de personnages super heroïques : les Avengers.

Alors oui, c’est vrai : cette fois plus que jamais, le nouveau volet de la jeune franchise D.C. Cinematic Universe ressemble à son aîné et éternel concurrent, le Marvel Cinematic Universe. On avait pourtant reproché à Batman V Superman, précédent opus, son esthétique trop sérieuse, radicalement différente de l’humour bon enfant qui fait la gloire des super héros Disney. Sans pour autant se défère de sa gravité, Warner a retenu la leçon. « Vous voulez de l’humour ? Nous allons vous offrir mieux que ça : de la folie ! », semblait nous promettre la bande annonce.

Et en effet, l’humour est bien là. De l’humour de scénariste hollywoodien parfaitement calibré pour faire sourire les spectateurs les plus enthousiastes. Du Marvel, en somme. Sans jamais pour autant être aussi efficace que dans Guardians of the Galaxy. Car il  manque, toujours et encore, le second degré. Sur cette position, Warner est resté clair : les super héros sont des personnages complexes et tourmentés, pas des comiques au grand cœur.

Question folie en revanche, on repassera. Suicide Squad est aussi punk qu’un clip de Rihanna et aussi anarchiste qu’un épisode de West Wing. Quant au Joker, la fadeur absolue du personnage fait presque oublier qu’il est dans le film. D’ailleurs, on ne le voit pas beaucoup. Alors que Jack Nicholson et Heath Ledger avaient su exploiter les différentes facettes de folie que permet le personnage, Leto nous offre un petit rire sardonique de circonstance, et son interprétation ne comporte finalement aucune prise de risque.

Bien sûr, le film joue des contrastes et si un personnage est plus fade, c’est pour mieux en faire ressortir un autre. On nous explique d’emblée qu’Harley Quinn (Margot Robbie), petite amie du Joker et personnage principal du film, est « plus forte et plus folle que lui ». Plutôt que de prendre le risque de créer un personnage encore plus fou que les Joker version Nicholson ou Ledger, on semble donc avoir préféré un nouveau Joker plus « sérieux », rendant ainsi Harley Quinn comparativement plus cinglée. Suivant la logique de féminisation des icônes amorcée par Hollywood avec le nouveau Ghostbusters, Harley Quinn serait-elle le nouveau Joker ? Cela tomberait sous le sens : elle est de loin le seul personnage véritablement intéressant et amusant au milieu de cette bande de branquignols. De Dead Shot (Will Smith) à El Diablo (Jay Hernández), tous sont aussi oubliables que leurs pouvoirs ou leurs problèmes personnels, quand ils ne viennent pas alourdir inutilement des séquences pas toujours très adroites. Parfois, on aimerait que les super héros ne soient pas si tourmentés.

Pourtant, le film commençait très bien. Quand Amanda Waller sort de sa voiture, un vendeur à la sauvette lui propose des chandails de super héros. Au dos du T-shirt Superman, une inscription : « Remember ». Manière de rappeler la « mort » du protagoniste dans le précèdent opus. Outre l’élégante façon qu’a la Warner d’intégrer au film ses propres produits dérivés, cette séquence fait directement référence aux lendemains du 11 septembre 2001. Une tragédie qui bouleversera profondément Hollywood. Difficile de ne pas voir dans les films de super héros marveliens, (dont le premier grand succès, Spiderman, arrive dès 2002), leurs univers colorés et leurs méchants dépolitisés, une réaction à aux questionnements suscités par l’attentat. Au diable, le réalisme de l’horreur qui a quotidiennement envahi les chaines d’info en continu ! Vive la fête et les jeux, les héros admirables et sympathiques, les méchants cupides et unanimement détestables. Si Suicide Squad possède un ton qui s’approche davantage d’un film Marvel, on retrouve tout de même dans cette scène d’introduction en référence au 11 septembre ce qui faisait l’originalité de Batman V Superman : le mythologique ancré dans la réalité.

Mais surtout, on retrouve dans cette séquence – et dans cette séquence seulement – une autre influence majeure, celle des comics sombres de Frank Miller que certains plans évoquent directement. Pourtant, bizarrement, cet expressionnisme post-Sin City plutôt sympathique disparait après une heure de film. Il est évident que Warner souhaite placer sa franchise dans l’héritage des œuvres du controversé scénariste et dessinateur américain, mais les trop longues scènes de combats qui suivent ressemblent davantage à un mauvais épisode de Resident Evil signé Paul W. S. Anderson qu’a une adaptation du Dark Knight Returns de Miller.

Un univers sombre ne se construit pas seulement sur un travail de colorimétrie et d’étalonnage. Le Batman de Miller est glauque, violent et radical. Suicide Squad veut jouer au dur, mais surtout ne blesser personne. Evidemment, ça fonctionne mal. Ainsi, après Batman V Superman, la nouvelle production super héroïque Warner nous laisse encore une fois sur un drôle de sentiment. Oui, cet univers est riche, intéressant et plein de promesses. Oui, il y a, par moments, l’affirmation d’un style particulier et unique auquel on a envie de croire. Mais hélas, tout semble partir dans trop de directions contraires et si certains éléments sont très réussis, d’autres semblent bâclés. Comme si la maison de production semblait vouloir satisfaire tout le monde, à l’image du choix de David Ayer (End of Watch, Sabotage, Fury…) pour réaliser cet opus, un spécialiste des films en uniforme et de l’action virile, dont le style s’accorde mal avec celui de Zach Snyder, l’homme en charge des films DC.

Au final, deux heures plus tard, il ne reste plus grand-chose des promesses de cette scène d’introduction, tant tout a été dilué dans un océan de bonnes intentions. À vouloir satisfaire tout le monde, on ne satisfait personne. Restent, sous les cicatrices des multiples remontages, des bribes d’un autre film. Peut-être celui que la Warner aurait vraiment voulu faire. Peut-être celui que tout le monde attendait.

La bande annonce de Suicide Squad


1 septembre 2016