Sunset Song
Terence Davies
par Adam Nayman
Dans son livre sur Terence Davies tiré de la série Contemporary Film Directors, le rédacteur en chef de Reverse Shot, Michael Koresky, conclut par un chapitre intitulé « La fixité du mouvement vers l’avant », qui examine la relation du cinéaste au temps : la manière dont les films de Davies proposent toujours une méditation sur le passé, filtré au travers des prismes changeant de la mémoire. Dans un passage remarquablement perspicace, Koresky relie l’amour de Davies pour les arrêts sur image et les plans statiques au besoin du réalisateur « d’arrêter le temps », un style indicatif du traumatisme dont souffrent ses personnages, lequel traumatisme renvoie lui-même à l’enfance répressive de Davies.
La lecture par Koresky des films de Davies – et de l’impression d’enfermement qui se dégage subtilement des images – intègre également des éléments de théorie queer : il décrit à juste titre les personnages comme des substituts d’un artiste marginalisé à toutes les étapes de sa vie à cause de l’ambivalence de son orientation sexuelle. Pour Koresky, Davies se projette tout autant dans ses films tirés de sources littéraires, avec des personnages principaux féminins – comme The House of Mirth (2000) et The Deep Blue Sea (2011) – que dans ceux explicitement « autobiographiques » comme Distant Voices, Still Lives (1988) ou The Long Day Closes (1992). Il est donc intéressant de mettre les idées du livre de l’auteur à l’épreuve de Sunset Song, une adaptation d’un roman de 1932 de Lewis Grassic Gibbon portant sur la fille d’un fermier écossais confrontée à plusieurs crises personnelles avant et après la Première Guerre mondiale.
Interprétée par le mannequin britannique Agyness Deyn, Chris Guthrie est un personnage typique de Davies, ici une femme docile et effacée sous la férule d’un père autoritaire (Peter Mullan). Visuellement, l’environnement rural est nouveau pour Davies : les cieux dramatiques et les collines ondoyantes de la campagne écossaise donnent lieu à des plans d’ensemble d’une ampleur généralement absente de ses chroniques urbaines d’époque. Le titre résonne comme un hymne vespéral au paysage, et pourtant, comme le dirait Koresky, il se dégage de l’ensemble une impression de claustrophobie, tant dans la demeure des Guthrie que dans la vie de Chris. Quand le film commence, elle se sent écrasée par le poids des années et elle s’efforce d’évaluer si la place secondaire qu’elle occupe dans la maisonnée est le destin qu’elle doit accepter ou un piège auquel elle doit échapper – un dilemme d’autant plus compliqué à résoudre qu’elle se sent farouchement attachée à une terre qu’elle répugne à abandonner.
La violence domestique, le nationalisme, le proto-féminisme, les tambours de guerre qui battent doucement au loin : il y a là un scénario riche en possibilités dramatiques que Davies met en scène avec l’élégance majestueuse d’un maître qui a planifié chaque mouvement – de caméra ou narratif – au millimètre près. Ce qui fait défaut, et c’est sans doute voulu, c’est la moindre impression de spontanéité : le spectateur anticipe chaque étape, des soins dévoués que Chris prodigue à son père de plus en plus infirme, à sa romance avec un garçon du coin, jusqu’au départ de ce dernier pour le front. L’impression de chemin de croix qui se dégage de l’histoire, selon la manière dont on la regarde, peut être vue comme l’exemple d’un artiste d’habitude plus audacieux sur les plans formel et structurel, resté ici trop scrupuleusement fidèle à son sujet, ou comme une expression de cette circularité mélancolique dont parle Koresky – soit les hauts et les bas du mélodrame, soigneusement orchestrés au gré d’une roue qui tourne, tel un rituel cyclique de répression.
L’ambigüité des intentions est la tension la plus forte dans Sunset Song, qui est bien entendu magnifiquement interprété et réalisé : Mullan peut jouer ce genre de rôle les yeux fermés (ce qu’il fait d’ailleurs une fois que son personnage tombe malade); la beauté diaphane de Deyn peut sembler trop parfaite pour une fille de la campagne aux ongles noircis, mais elle représente bien le caractère indomptable du personnage, que Davies perçoit comme un état de grâce. Même s’il respecte trop sagement les contours de son sujet, il est important d’attirer l’attention sur un film qui démontre une telle richesse de composition. Toutefois, cette même qualité picturale est aussi quelque peu paralysante, et d’une manière qui exacerbe abusivement l’esthétique de la répression chère à Davies. Il y a un vrai sens de la catharsis à la fin de Sunset Song, et bien qu’il soit un peu facile de laisser entendre que cela a autant à voir avec le fait que le film soit terminé qu’avec l’aboutissement du parcours de l’héroïne, on sent tout de même un soulagement gagner la salle.
La bande annonce de Sunset Song
16 juin 2016