Super 8
J.J. Abrams
par Damien Detcheberry
On espérait vainement un peu de fantaisie concernant la sortie de Super 8 pour le cinéma-maison. Pourquoi pas une édition du collectionneur, en trente-sept boîtes super 8 de trois minutes chacune, avec bande sonore sur piste magnétique, à projeter chez soi, en famille ? Coffret encombrant, certes, mais qui se remarque dans une bibliothèque. Encore mieux qu’un chaton, le coffret Super 8 en super 8 aurait été le must des cadeaux de Noël envahissants, assurant la pérennité du blockbuster dans les foyers Les studios hollywoodiens n’ont décidément aucune imagination.
Rappelons-le pour ceux qui ont échappé à la déferlante publicitaire qui a accompagné la sortie du film en salles cet été : Super 8, réalisé par un des spécialistes actuels du recyclage hollywoodien - J. J. Abrams, réalisateur de Star Trek (2009) et de Mission: Impossible 3 (2006), producteur des séries Alias et Lost - est un hommage explicite au cinéma de Steven Spielberg produit par Spielberg en personne. La preuve qu’on n’est jamais mieux servi que par soi-même lorsqu’il s’agit de perpétuer sa propre mythologie. Super 8 puise ainsi allègrement dans l’imaginaire du Wunderkind qui a fait la pluie et le beau temps sur Hollywood dans les années 1970 et 1980 : dans une petite ville de l’Ohio à la fin des années 1970, un groupe d’adolescents tournant un film amateur en super 8 assiste à une spectaculaire catastrophe ferroviaire. Le train enfermait une créature extra-terrestre mal lunée qui, une fois libérée, va terroriser la ville avant de rentrer à la maison. Un air de déjà-vu ? C’est normal : contrairement au train, l’intrigue du film, cousue de fil blanc et de bons sentiments, glissera pendant près de deux heures sur des rails calibrés au millimètre et garantis antidérapants.
Ce n’est pas tant l’hommage qui ennuie profondément ici que l’application studieuse du cinéaste et de ses scénaristes à répertorier les trucs, les tics et les tocs qui ont construit le style Spielberg et l’époque dont le film se veut la fidèle reconstitution. Tout y passe, des affiches vintage aux baladeurs à cassettes en passant par les innombrables références cinéphiles, pour faire vibrer la corde sensible des nostalgiques des Goonies, d’E.T. et de Rencontres du troisième type. Pétrifiés dans leur posture de figurines de musée, les jeunes acteurs peinent à faire exister leurs personnages hors de la caricature. Mais ils s’en sortent tout de même mieux que les adultes, tous extraordinairement transparents, tout droit piochés dans la grande gamelle des seconds rôles oubliés du cinéma de série B des années 1980. Même la créature sent le patchwork improbable de tous les extra-terrestres numériques qui ont peuplé le cinéma de science-fiction ces trente dernières années : quatre bras, six narines, des yeux de Bambi cachés derrière un visage informe et sans personnalité. Un vrai bestiaire à elle seule ! Quant au film, il souffre du pire mélange qui puisse accabler de genre d’exercice, soit un trop-plein de naïveté et un manque cruel de spontanéité. Très vite, Super 8 se vide de toute substance et vire au catalogue agaçant de clins d’il faussement complices, qui étouffent tout le plaisir que l’on aurait pu prendre à ce retour dans le passé.
Il est logique, finalement, que le coffret Blu-ray soit à l’avenant : on y retrouve un commentaire audio d’usage, de courts clips sur les effets numériques du film, les sempiternelles séquences « supprimées-mais-qui-méritent-tout-de-même-d’être-vues », et un documentaire qui « déconstruit » la scène de bravoure, le fameux accident de train, séquence d’anthologie autoproclamée avant même la sortie du film. Revoir cette scène tonitruante permet surtout de comparer les différents styles des fils spirituels de Spielberg : à voir de quelle manière J. J. Abrams s’épuise à en mettre plein la vue, avec la délicatesse d’un chien dans un jeu de quilles, on en regrette l’élégance de M. Night Shyamalan qui avait laissé à l’imagination des spectateurs une séquence identique dans Incassable (2000).
Tout ceci est d’autant plus navrant qu’on aurait aimé se laisser porter par un hommage au cinéma populaire de notre enfance. Hélas, avec l’âge il devient de plus en plus difficile de se laisser étourdir par les néons des manèges, et les illusions s’évanouissent devant la dure réalité : E.T. s’est probablement fait engueuler par ses collègues pour avoir loupé sa navette et touché des humains non stérilisés. Les hommes, femmes et enfants qui sont montés dans le vaisseau à la fin de Rencontres du 3e type ont tous été étudiés, disséqués puis mangés par l’équipage extra-terrestre. Les Goonies aujourd’hui sont vieux, alcooliques et drogués : Wang a été expulsé du territoire américain, Choco est diabétique. Ah, Nostalgie, quand tu nous quittes…
La bande-annonce de Super 8:
24 novembre 2011