Sur la trace d’Igor Rizzi
Noël Mitrani
par Rachel Haller
Un pont, une plaine enneigée, une ouverture sur la ville blanche. Pas Alger, mais Montréal dans son manteau hivernal. Manteau de douceur mélancolique, d’émerveillement candide que le cinéma québécois n’avait plus jeté sur ses épaules depuis La vie heureuse de Léopold Z. Ou si peu. Dans cet espace immaculé, un homme suspend son errance à la trajectoire d’un ballon. Il le tire, le rattrape, le tire à nouveau. De but(s), il n’y en a pas. Ou plutôt il n’y en plus depuis qu’il a quitté la France et les stades les vrais- pour rejoindre la terre natale de cette disparue, tant aimée et si mal.
Echo à la blancheur muette, sa vie tourne à vide: des casses minables, une solitude traînée du parc au banc et de la cuisine au lit. En souffre-t-il? Les souvenirs effacent le présent. Il flotte, ni heureux, ni malheureux. Sans le savoir, il attend. Il attend l’absolution comme un chartreux: une tasse, un canapé, des draps-suaires et l’icône de la sacrifiée. Mais malgré cette épure quasi christique en longs plans fixes et voix-off (on pense de loin à Bresson), son purgatoire échappe à la dialectique du bien et du mal. Il vole, enterre une femme sans avertir la police et accepte de tuer un homme. De fait, il ne porte pas le fardeau du péché, mais celui de l’immaturité. Il n’a jamais rien pu ou su assumer. Et là encore, il se laisse dériver. Il ne refuse pas la vie, mais les choix et les restrictions qu’elle peut imposer. Ses maladresses perpétuelles, ses rires d’adolescent avec son acolyte occasionnel renforcent encore cette inaptitude à la responsabilité. Dans son décalage aussi drôle que pathétique, il trouverait sa place au panthéon des frères Coen.
Malheureusement, le réalisateur Noël Mitrani ne réussit pas à maintenir l’ambivalence d’un purgatoire sans foi ni loi. La faute originelle trouve son rachat dans un final manichéen et forcément décevant. Il faut dire que l’ombre des belles années d’un certain cinéma hollywoodien plane Sur la trace d’Igor Rizzi. Aussi bas puisse-t-il tomber, le héros (le plus souvent masculin) finira toujours par se transcender. L’hommage prend aussi d’autres formes, une fascination pour une vieille Oldsmobile et ses ronrons, une musique aux accents country (notamment Wayfaring Stranger de Bill Monroe)
Mais si le film pèche par son moralement correct et son humour parfois grotesque (heureusement nuancé par le jeu sobre et distancié de Laurent Lucas), il n’en reste pas moins convaincant. Surtout pour un premier film (en 35 mm et entièrement autoproduit!), sacré avec raison meilleur premier film canadien au dernier festival de Toronto. Loin des diktats du mouvement et du surdécoupage, il ose la lenteur et la contemplation (Montréal n’a plus été aussi belle depuis longtemps). Il ose aussi l’économie. L’économie du langage, de l’action, du jeu. Et surtout, il rend à la musique sa place de choix. Contrepoint obstiné, elle n’annonce, ni ne soutient le récit. Elle le prolonge comme la blancheur des paysages. Avec douceur et mélancolie.
18 janvier 2007