T2 Trainspotting
Danny Boyle
par Elijah Baron
Un film culte appartient-il encore à son auteur, ou devient-il la propriété exclusive d’un public adorateur qui brouille volontairement les limites de l’art et du réel ? Tenter de faire suite à un film phare tel que Trainspotting, c’est courir le risque de décevoir grandement. Ces dernières années, nous avons vu ressurgir bien des spectres du passé, mais T2 Trainspotting de Danny Boyle est peut-être la première de ces suites tardives à prendre pour sujet le passage du temps lui-même. Le coup de maître de Boyle est de proposer une suite qui traite tout autant du vieillissement de ses spectateurs que de celui de ses personnages.
Au-delà de sa description de la toxicomanie, le premier film portait avant tout sur l’amitié, la jeunesse, le désir de fuite. Pour les personnages de Trainspotting, le temps était une abstraction, comme l’illustrait le fameux dernier plan dans lequel le jeune Renton (Ewan MacGregor) se fondait dans le flou, alors qu’il ruminait sur son avenir. Or, dans T2, le temps est un fait concret, liant les personnages autour d’un destin commun qu’ils devront affronter, tels des mousquetaires armés de leur humour noir. Soudainement, on comprend la rage qui anime le dangereux Begbie (Robert Carlyle) et on a envie de hurler à ses côtés. À part Renton et Begbie, le groupe inclut de nouveau le malheureux Spud (Ewen Bremner), toujours accro à l’héroïne, et Simon, ex-Sick Boy, reconverti en proxénète cocaïnomane.
La drogue, présente et consommée sous de nombreuses formes, n’a toutefois plus la même signification, ni la même fonction. L’énergie furieuse et irrépressible de Trainspotting était une conséquence directe de l’effet qu’avait la drogue sur les personnages. Par comparaison, T2 est un film nettement plus réservé et mélancolique qui ressemble davantage à un lendemain de veille. Lorsque Boyle décide de revigorer le film à l’aide de séquences plus spectaculaires, on sent une volonté de faire écho aux prouesses d’antan. Au moment où Renton entame un nouveau monologue commençant par « Choose life », cette fois pour décrire les sombres réalités du XXIème siècle, il se laisse emporter par l’émotion, exprimant une sorte d’impuissance qui ne vient qu’avec l’âge, impuissance accentuée par le fait qu’il n’est plus le narrateur du film. Même lorsque Renton et Simon se laissent tenter une dernière fois par l’héroïne après tant d’années, ils ne font que s’engourdir et leurs rêves sont plats.
Le cinéma de Boyle est impulsif, tout dans son approche vise les sens. La logique narrative y est moins importante que les émotions suscitées. On finit d’ailleurs par se rendre compte que le récit de T2, pourtant plus équilibré que celui de Trainspotting, est en réalité arbitraire, visant moins à proposer de nouveaux évènements qu’à poser un regard infiniment nostalgique sur les tribulations passées. Plus T2 avance, plus il s’épure et plus il emprunte la voie de la métafiction. Trainspotting se retrouve régulièrement cité et reproduit, avant d’être finalement élevé au statut de mythe, lorsque nous assistons à l’écriture du roman à l’origine du film lui-même. Ainsi, T2 ne cherche pas à répéter l’impact de l’original, mais à retracer son parcours, à s’interroger sur l’effet que le temps a eu sur des personnages qui n’ont pas changé, qui continuent de s’accrocher à un passé qui n’existe plus et qui cherchent à survivre dans un monde qui ne leur appartient pas.
Selon Simon, le retour de Renton dans sa ville natale, après vingt ans passés à l’étranger, fait de lui un touriste sur les lieux de sa propre jeunesse. C’est peut-être la meilleure façon de décrire les sensations que procure le film. C’est bien en tant que touristes que nous revisitons ces environnements familiers, reproduits avec une exactitude touchante, voire troublante, car les temps ont indéniablement changé. La théorie de la vie qu’énoncait Simon dans le premier film (« On l’a, et puis, un jour, on ne l’a plus ») n’est jamais mentionnée, mais pèse lourdement sur T2. Il apparaît donc logique et honnête que Renton, dans une des dernières scènes, se retrouve enfermé dans une cabine recouverte de miroirs, confronté à lui-même et à ses souvenirs. « L’a-t-il » encore, après toutes ces années, ou se peut-il que quelque chose ait été irrémédiablement perdu en cours de route ? La question reste ouverte, mais le film finit par atteindre l’harmonie, comme si le temps s’était immobilisé une seconde, nous laissant entrevoir, dans les couloirs de ce train implacable de la vie, la possibilité d’un retour, ou, du moins, d’une coexistence avec le temps qui fuit.
7 avril 2017