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Critiques

Tamara Drewe

Stephen Frears

par Eric Fourlanty

Qu’est-ce qu’un « vrai » film de Stephen Frears? My Beautiful Laundrette ou Dangerous Liaisons? The Grifters ou High Fidelity? The Van ou The Queen? Depuis plus de 25 ans, le cinéaste britannique va là où bon lui semble, de la satire sociale au drame historique et de la comédie à la biographie romancée. C’est un cinéaste solide, constant, qui fait son métier avec talent, sans courir après le chef-d’œuvre.

Lorsqu’en 1984, il réalise The Hit, qui le fait connaître du grand public, Frears a déjà une bonne vingtaine de réalisations télévisuelles à son actif. Autrement dit, il sait ce qu’il fait. À l’instar des cinéastes de l’âge d’or d’Hollywood, les John Ford et les Howard Hawks, il  a fait ses classes pour peaufiner sinon son art, du moins son artisanat. Car il y a quelque chose de l’artisan chez ce cinéaste qui, on le sent dans chacun de ses films, aime profondément son métier.

Aujourd’hui, il est, avec Ang Lee, l’un des seuls réalisateurs à pouvoir naviguer aussi aisément d’un genre à l’autre, tout en jetant un regard tout à fait personnel sur le monde. Chez Frears, on pourrait avancer qu’il s’agit d’un humanisme souvent anticonformiste, d’une lucidité parfois redoutable, mais toujours teintée d’un humour tout aussi redoutable et d’un sens de la narration et du spectacle qui ne prend jamais le spectateur pour un demeuré. Bref, quelque chose comme l’incarnation de l’esprit britannique!

Première incursion de Frears dans la comédie pure, Tamara Drewe est l’adaptation d’une bande dessinée qui s’inspire de Far From the Madding Crow, de Thomas Hardy. La Tamara Drewe du titre est une jeune journaliste pipeule de Londres qui, au décès de sa mère, revient dans son village natal pour y vendre la maison familiale. Vilain petit canard devenu cygne, elle affolera tous les mâles, de son premier amour, resté sur place, aux écrivains torturés, en résidence dans une fermette de rêve. Ajoutez une rock star pseudo-punk qui passait par là et deux adolescentes « full hormones » et vous avez un cocktail beaucoup trop explosif pour la douceur bucolique des bocages britanniques.

De son propre aveu, Frears joue ici dans les plates-bandes de Chabrol (on imagine ce que dernier aurait fait de cette histoire avec la Bernadette Laffont des années 60!) en dépeignant une classe moyenne anglaise, bourgeoise mais pas trop, rarement montrée au grand écran. C’est vrai pour la bonhomie et la cruauté mêlées qu’on y retrouve, mais encore plus qu’à Chabrol, c’est à Woody Allen qu’on pense – un Woody plus viandeux, plus cynique, moins complexé. Si ce dernier portait à l’écran des adaptations, il aurait certainement jeté son dévolu sur cette histoire délicieuse qui raille les écrivains et les journalistes et qui examine sans gants blancs le mariage, la création, la sexualité, le mensonge et la chirurgie esthétique. Une histoire où l’on trouve aussi des hommes mûrs amoureux de nymphettes, des répliques savoureuses (« Nous sommes comme un compas, dont le centre est soudé, mais dont les jambes se promènent librement », dit un mari volage à sa femme qui vient de découvrir qu’elle est cocue), et la vie qui bat, ce qui n’empêche pas, bien au contraire, la présence de la mort qui guette et s’abat au moment où l’on s’y attend le moins.

Là où Tamara Drewe dépasse la comédie agréable mais sans conséquence, c’est dans cette assurance –- qu’avait le Chabrol des grands jours -– de Stephen Frears à mener son récit à bon port avec une mise en scène sans effets de manches. Il amorce son film de façon anodine, le poursuit dans la même veine, au point qu’un léger ennui s’installe, puis il nous cueille, il nous garde bien en main et nous assène une finale qui se résonne dans le film tout entier. Si ce n’est pas du grand art, c’est du grand artisanat. L’air de rien, Tamara Drewe est, comme beaucoup de films de Stephen Frears, un film branché sur son époque tout en étant indémodable. Du grand art.


18 novembre 2010